NOTE — Choiseul, douze ans de ministère au service de Louis XV


À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Choiseul, l’obsession du pouvoir », par Monique Cottret, ainsi que quelques extraits marquants.


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► Précisions sur l’auteur

L’auteur, Monique Cottret, née en 1952, est une historienne française. Après avoir passé des classes préparatoires à Paris (lycées Chaptal et Condorcet), elle fait des études d’histoire à l’Université Paris-X de Nanterre. Elle devient agrégée en 1974.

Cottret est spécialisée dans l’étude du jansénisme — élément central de ce livre — et de la notion de tyrannicide. On lui doit également un ouvrage sur Jean-Jacques Rousseau et son époque.

► Une carrière militaire, puis diplomatique

Né en 1719 à Nancy, Étienne-François de Stainville, créé duc de Choiseul, est issu d’une famille liée au duc de Lorraine. Après une carrière militaire, il s’oriente vers la diplomatie. Nommé ambassadeur de France à Rome, il obtient du pape que soit réglée l’affaire des sacrements.

Il part ensuite à Vienne, où son ambassade jouit d’un grand crédit auprès de Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780). Se liant à la marquise de Pompadour (1721-1764), il acquiert une fortune importante. Ses talents pour la diplomatie l’amènent, en 1758, à accéder au Secrétariat aux Affaires étrangères. Il y remplace le cardinal de Bernis (1715-1794).

► Ministre tout-puissant de Louis XV

Quelques mois plus tard, son pouvoir s’accroît encore des portefeuilles de la Guerre et de la Marine. Ce cumul des postes fait de facto du duc de Choiseul un premier ministre, avec l’autorité de cette fonction, mais sans toutefois le titre officiel. Cette situation dure douze ans, à une époque où le changement rapide des ministres est plutôt la règle.

Cette longue carrière ministérielle de Choiseul donne de l’imagination aux chroniqueurs et aux caricaturistes. Historiographiquement, le personnage en pâtit depuis. Pour exemple, un manuel scolaire d’histoire de 1944 de Jolivet, Élaboration du monde moderne, 1715-1815, en fait quelqu’un de « spirituel et moqueur, plein de confiance en lui, […] se [faisant] facilement des ennemis par son ton de persiflage« .

Son œuvre politique est diversement appréciée, de ses contemporains comme avec le recul des siècles. Choiseul ne sait visiblement pas prendre toutes les mesures s’imposant pour remédier au désordre des finances. Toutefois servi par les événements, il sait à plusieurs reprises tirer les choses à son profit et à celui du royaume. Ainsi, la mort du roi de Pologne, Stanislas Ier (1677-1766), lui permet par exemple d’annexer le Barrois (entre la région messine et le Luxembourg) et, surtout, la Lorraine — terre d’Empire — à la France, en 1766. Deux ans plus tard, il fait également réunir la Corse à la France, profitant de révoltes permanentes des Corses envers leur suzerain, la République de Gênes.

► Des échecs toutefois : politique extérieure, impôts, armée

Mais la marque la plus connue de la politique étrangère de Choiseul est celle consécutive à la guerre de Sept ans. Celle-ci, qui s’étend de 1756 à 1763, peut être considérée comme une première véritable guerre mondiale avant l’heure, en ce qu’elle concerne tous les continents (Europe bien sûr, mais aussi Amérique du Nord, Caraïbes, Indes et Philippines) et met en confrontation la plupart des acteurs géopolitiques de l’époque, y compris de nouvelles puissances (Prusse, Royaume-Uni, Portugal, Saint-Empire, Autriche, Saxe, France, Russie, Suède, Espagne, Deux-Nations, Naples…) à la suite de l’invasion de la Saxe par Frédéric II de Prusse. Le bilan humain participe aussi de ce caractère de conflagration européenne préfigurant la Première guerre mondiale, avec environ 1,1 million de morts, dont 650 000 civils.

Pour la France, la guerre de Sept ans entraîne de désastreuses conséquences en termes de politique étrangère, avec la perte de ses possessions au Canada — les « quelques arpents de neige » décrits par Voltaire — et dans les Indes, actée par le traité de Paris, en février 1763.

Ce traité consacre de fait la prééminence du Royaume-Uni comme première puissance mondiale, pour un siècle et demi, jusqu’à l’émergence de la puissance américaine. Et au-delà de sa perte d’influence dans le monde, la France aggrave également de manière considérable sa situation financière, en prenant part à ce conflit. Les différents contrôleurs des Finances se succédant — Étienne de Silhouette (1709-1767), Henri Bertin (1720-1792), François de L’Averdy (1724-1793) — ne trouvent alors comme solution que la création d’impôts nouveaux : une subvention territoriale devant peser sur chaque propriétaire un deuxième et un troisième vingtième. Cependant, et comme souvent, le Parlement refuse d’enregistrer les édits relatifs à ces nouveaux impôts. Mais cette fois-ci, le contexte est plus tendu encore. En effet, les magistrats démissionnent, et suspendent le cours de la justice. Hésitant, le roi capitule finalement contre les robes rouges.

Cet apaisement voulu par le roi n’empêche pas l’opinion de l’accuser, ainsi que ses ministres, de conspiration. Le petit peuple craint alors que le roi veuille établir une sorte de monopole du commerce des grains pour spéculer sur la misère. C’est la légende dite du « Pacte de famine« . En réalité, les réserves gouvernementales ne sont pas destinées à être privatisées, mais servent à parer aux disettes éventuelles : cette opération n’enrichit personne.

La défaite française nécessite de même une réforme militaire. Choiseul décide donc de réduire les effectifs, renvoie des officiers roturiers et des officiers nobles de province. Nombre de colonels et de lieutenants ayant acheté leurs charges perdent jusqu’à leur capital. On leur verse ultérieurement des pensions illusoires, et beaucoup d’entre eux tombent alors dans la misère.

En prenant toutefois conscience, Choiseul s’efforce de remédier à cette situation. Sous son initiative, l’État prend désormais la responsabilité du recrutement militaire et de la nourriture, de même qu’il fixe les uniformes. Afin qu’une instruction professionnelle soit donnée aux officiers, des écoles militaires sont alors ouvertes à Paris, Saumur et La Flèche, dans le Maine. Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval (1715-1789) réorganise de fond en comble l’artillerie, créant un matériel léger ou de campagne qui restera employé pendant un demi-siècle.

Mais la réforme la plus spectaculaire est celle de la Marine royale, dans une volonté évidente de revanche contre le Royaume-Uni, après la guerre de Sept ans. En effet, au terme de celle-ci, le royaume ne possède plus que quarante-quatre vaisseaux de ligne et dix frégates. Mais grâce à des contributions volontaires de différentes villes, la France peut aligner soixante-quatre vaisseaux de ligne et cinquante frégates en 1770. Les arsenaux sont réorganisés, et de nouveaux sont fondés, à Marseille et Lorient. De même, les études nautiques sont encouragées.

La reconstitution de l’Empire colonial français est plus hasardeuse. Les territoires français outremer sont certes repris aux compagnies privées qui en avaient la gestion. Mais le projet de constitution d’une armée coloniale échoue, de même que la tentative française de coloniser la Guyane, en Amérique centrale.

► La chute de Choiseul

Les quelques succès de Choiseul en termes de politique intérieure ou extérieure ne suffisent toutefois pas à enrayer sa chute. Celle-ci est inexorable après la guerre de Sept ans, et une fois le déclin français acté par la perte du Canada. Mais les facteurs de cette chute sont multiples : avènement d’une nouvelle favorite — comtesse du Barry (1743-1793) — et affaires de Bretagne au premier chef.

Concernant ces dernières, elles font suite à la nomination au commandement de la Bretagne, en 1753, Emmanuel-Armand de Vignerot du Plessis, duc d’Aiguillon. Celui-ci est le rival de Choiseul ; on en fait même son successeur potentiel. Or, son commandement dans une province aussi « difficile » que la Bretagne se passe mieux que l’on pouvait le prévoir. Après s’être créé un carré de partisans au sein de la noblesse bretonne, Aiguillon se révèle un bon administrateur, multipliant les voies de communication, assouplissant les corvées et favorisant l’assainissement des grandes villes.

Toutefois, la neutralité d’Aiguillon durant le procès des Jésuites le fait soupçonner de sympathie pour ces nouveaux proscrits. Sa brouille avec le procureur général au Parlement de Rennes, Louis-René Caradeuc de La Chalotais (1701-1785), anti-jésuite zélé, achève de le discréditer aux yeux des élites bretonnes.

Durant la « guerre » opposant Aiguillon à La Chalotais, le Parlement de Rennes est utilisé dans le cadre de remontrances, en 1764. Le roi intervient alors. Les parlements suspendent le cours de la justice, puis se démettent de leurs fonctions. Alors que Rennes paraît entrer en révolte, Louis XV fait alors arrêter à La Chalotais et constitue un nouveau parlement, que les partisans de l’ancien procureur appellent alors par dérision le « bailliage d’Aiguillon ». De plus, les différents parlements du royaume soutiennent alors celui de Bretagne.

Versatile, Louis XV finit par forcer Aiguillon à la démission. Le Parlement de Bretagne, rétabli, met alors en accusation l’ancien commandant. La haine contre Aiguillon est si forte durant son procès que le roi déclare nulles toutes les procédures encore, et impose silence aux deux partis.

Là, entre le destin de Choiseul. Dès les origines, celui-ci est un chaud soutien de La Chalotais, avec lequel il partage une détestation commune des jésuites. Son attitude libérale contre les parlements joue également contre lui. Dès lors, le ministre commence à être discuté par ses collègues : René-Nicolas de Maupeou (1714-1792) et Joseph Terray (1715-1778), notamment. Le laisser-faire de Choiseul vis-à-vis des libelles hostiles à la nouvelle favorite n’arrange également pas sa situation. Tout juste gagne-t-il du temps en préparant le mariage du dauphin — futur Louis XVI — avec la fille de Marie-Thérèse d’Autriche, Marie-Antoinette.

C’est finalement sa politique étrangère qui perd Choiseul. Son souci de revanche sur les Britanniques perce trop. Maladroitement, il encourage ainsi les velléités de soulèvements des Treize colonies contre le pouvoir britannique. Avec le Royaume-Uni, les différends se multiplie outremer, concernant notamment le régime de la pêche à Terre-Neuve et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le ministre excite également l’Espagne, qu’il pousse à rompre avec le Royaume-Uni, à la faveur du Pacte de famille. Pour cela, il agite le sujet des îles Malouines, et appelle discrètement à la guerre, malgré que le Trésor soit vide.

Ce faisant, le roi, pour ne courir aucun risque, préfère demander à Choiseul de démissionner, en 1770. L’ancien ministre se retire alors dans sa propriété de Chanteloup.

► L’après-disgrâce

Courtisé par les philosophes et les parlementaires, Choiseul jouit paradoxalement d’une grande popularité après son renvoi.

Le roi réorganise son gouvernement, préférant déléguer le pouvoir exécutif à un triumvirat que de le centraliser dans un nouveau ministre tout-puissant. Ainsi, Aiguillon, Maupeou et Terray gèrent désormais les affaires du royaume, étant respectivement chargés des Affaires étrangères, de la Chancellerie et des Finances.

Mais rapidement, Maupeou prend le pas sur ses collègues. Il met en oeuvre a réforme des parlements, pour mater définitivement leurs révoltes, après de nouvelles réticences du Parlement de Paris à la reprise de ses fonctions. Discrétionnairement, Maupeou exile alors ses membres en province, et confisque leurs charges.

Choiseul meurt en 1785. Dans ses dernières années, il jouit paradoxalement d’une bonne réputation dans le peuple et auprès de nombreux parlementaires, qui effectuent de véritables pèlerinages jusqu’à sa résidence de Chanteloup. Le roi lui-même doit bien convenir que son départ forcé est un manque pour l’État.

► Conclusion

L’auteur livre ici un portrait de Choiseul tout en complexité voire contradictions — on en attend pas moins d’un homme d’État — et revient longuement sur son « obsession du pouvoir« , sous-titre de l’ouvrage. Or, cette volonté de pouvoir absolu du ministre tout-puissant ne peut exister qu’à la discrétion d’un roi de droit divin : Louis XV.

Personnage ambivalent, il est tant décrié pour ses échecs en politique intérieure que sa vision géostratégique d’avant-garde contre le Royaume-Uni, et le parachèvement de l’unité française par l’annexion de la Corse, quelques mois avant sa disgrâce. Archétype de la chute en politique, Choiseul peut facilement être comparé à une figure majeure du Grand siècle : Fouquet, surintendant des Finances de Louis XIV. Tous deux partagent, au reste, le fait d’avoir été partiellement réhabilité après leurs ministères respectifs.

— Gauthier BOUCHET

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