NOTE — Le Paris-Rouen, première course automobile de l’Histoire


À la suite de notre émission Date-clef, retrouvez dès à présent notre note historique sur la course de voitures Paris-Rouen. Cet événement est la première course automobile de l’Histoire.


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► L’épopée des « voitures sans chevaux »

Cette course d’un genre inédit, organisée du 19 au 22 juillet 1894, marque l’épopée des « voitures sans chevaux », terme qui désigne les premières automobiles (on parle, de même, de « voitures automotrices »). À l’initiative du Paris-Rouen, se trouve Pierre Giffard, un contributeur du Petit journal, le journal au plus fort tirage dans le monde entier, à un million et demi d’exemplaires quotidiens.

Les épreuves sont sensationnelles pour l’époque, celle de la révolution industrielle et du positivisme. L’épreuve finale entre Paris et Rouen, d’environ cent trente kilomètres de parcours, n’est au final disputée que par vingt et un compétiteurs : quatre-vingt un pré-inscrits ne sont pas admis.

Paradoxalement, il ne s’agit pas d’une course de vitesse, car l’épreuve finale voit sa vitesse règlementée par le jury à douze kilomètres par heure maximum. Le parcours vise en fait l’excellence dans trois critères, que sont le « bon marché relatif », la « commodité » et la « sécurité ». Il s’agit avant tout d’une démonstration de véhicules en mouvement.

Cet épisode fondateur des courses automobiles s’inscrit dans un contexte d’intérêt populaire nouveau pour certains sports et activités assimilées : bicyclette, aérostat, natation… Giffard, qui organise le Paris-Rouen, se fait d’ailleurs connaître dès 1891 en mettant en place une course de vélos : la première édition du Paris-Brest-Paris — ou Paris-Brest et retour — qui dure jusqu’en 1951. Une course à pied suite l’année d’après, le Paris-Belfort, avec le même Giffard à la manœuvre. Son idée de défi de natation, prévue pour 1893, est annulée. Elle montre toutefois que le personnage, littérateur et pionnier de la presse sportive, natif de Fontaine-le-Don (près de Dieppe) est alors plein de motivation.

L’époque est à la mise en place de manifestations sportives financées par des journaux, faute que des organisations professionnelles existent, pour le moment. Par exemple, l’Automobile club de France (ACF) n’est créé qu’en 1895. Nombreux sont les exemples de titres de presse alors commanditaires d’événements sportifs : le Tour de France, créé par L’Auto (1905), la traversée de la Manche par le Daily Mail

► Les véhicules et les hommes

La course, annoncée en avril 1894, et qui s’engage trois mois plus tard depuis la Porte Maillot, à Paris, montre au grand public la rivalité commerciale et technique existant entre deux grandes marques françaises : Panhard & Levassor, créée en 1886, et Peugeot, créée en 1810. Dans cette période à la fois pionnière et d’innovation, les automobiles ne sont pas naturellement, comme on l’entend dès le XXe siècle, des produits en série. En réalité, les véhicules de ce Paris-Rouen — premier et aussi dernier du nom, car la course est sans suite — sont souvent des prototypes, et fonctionnent par le biais d’énergies motrices très diverses : essence certes, mais aussi eau (liquide ou vapeur), gravité, air comprimé, leviers, pendules, pédales, systèmes électriques et semi-électriques, gaz à haute pression, liquides combinés…

Avant leur admission dans la course, les participants au Paris-Rouen sont tenus de faire leurs preuves dans un tour de chauffe de cinquante kilomètres en région parisienne. Ce trajet doit être réalisé en trois heures maximum, ce qui renseigne sur la vitesse des véhicules de l’époque : environ dix-sept kilomètres par heure. Cette phase éliminatoire explique que seulement une vingtaine de véhicules puisse prendre le départ de la course.

Au-delà des véhicules, le Paris-Rouen est également marquant pour les hommes qui l’incarnent. Il faut en particulier signaler la présence d’un constructeur-tiers, De Dion-Bouton (créé en 1883), dont le directeur, un marquis, Jules-Albert de Dion, vient donner l’exemple en participant à la course. Dion se distingue d’autant plus qu’il brille durant les épreuves, finissant premier chaque jour, avec un étrange tracteur à vapeur attelé d’une calèche.

Dion, au-delà d’être un pionnier de l’industrie automobile, est par la suite connu comme un politicien hors pair, conseiller général de la Loire-Inférieure à partir de 1899 (élu dans le canton de Carquefou) puis député et enfin sénateur. Cumulant les mandats, il reste parlementaire jusqu’en 1940.

Dion se prétend bonapartiste et combat le Capital à Nantes, avec un antisémitisme violent, mais émarge chez les modérés de la Fédération républicaine tout en ménageant les milieux financiers à la Chambre. Dion est également connu comme le député le mieux élu de France, avec parfois plus de 90 % de suffrages exprimés, et rarement plus en face de lui qu’une candidature de témoignage des guesdistes du Parti ouvrier français (POF).

Véritable professionnel de la politique, il mélange allègrement mandats électifs, direction d’organes de presse, influence dans le milieu sportif et gestion d’industrie. Son legs n’est pas mince, en dépit de sa personnalité fantasque et impulsive : fondation du Salon de l’auto (1898), cofondation de l’ACF, création du journal L’Auto (1900), précurseur indirect de L’Équipe

Le cas de Dion, en tant que constructeur et participant de la course, n’est pas unique. Émile Levassor (1843-1897), est dans le même cas de figure. Il conduit la voiture n° 15. D’autres compétiteurs se distinguent également, en devenant constructeurs par la suite, tels Auguste Doriot (1863-1955), dans la voiture n° 28. Il faut également signaler la présence d’un participant franco-allemand, Emile Kraeutler (voiture n° 31), de Metz, dans un contexte historique où les Français sont poussés à la « Revanche ».

► La course, et sa postérité

L’épreuve finale du Paris-Rouen s’élance de Paris, le 19 juillet à 8 heures. Au niveau de Nanterre, l’un des véhicules (numéro 44) casse une roue. Quelques heures plus tard, la 10 abandonne à Gaillon, dans l’Eure, en raison d’un problème de moteur.

Le premier véhicule arrivant à Rouen est celui de Dion (numéro 4), à 17 heures 40. Il est suivi, notamment et dans l’ordre, de Doriot, Kraeutler, Levassor, Michaux. Le dernier véhicule, conduit par le britannique Ernest Archdeacon (1863-1950), numéro 18, arrive à 22 heures 10.

Les résultats ne sont toutefois annoncés que le lendemain midi. Malgré son excellent résultat, Dion n’obtient pas le premier prix (de cinq mille francs), qui est attribué à égalité entre les constructeurs Panhard & Levassor et Peugeot. Dion (via sa firme, De Dion-Bouton) n’obtient finalement que le deuxième prix, de deux mille francs. En effet, pour rappel, la vitesse n’est pas le critère le mieux pris en compte par le jury du Petit journal.

Cette course pionnière en entraîne beaucoup d’autres, qui quittent la dimension de la pure démonstration technique, et où la vitesse est enfin prise en compte. C’est le cas, dès 1895, avec le Paris-Bordeaux-Paris.

Par la suite, sont créés des compétitions de prestige, qui annoncent la Formule 1 : les Grands prix. L’industrie et la course automobile entrent alors dans une dimension nouvelle. En France, la ville du Mans se distingue et, à partir de 1923, accueille les fameuses 24 Heures. Dans le même temps, les années de guerre entraînent des innovations croissantes et une accélération des vitesses.


BIBLIOGRAPHIE

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