LIVRE DE LA SEMAINE — « Le comte de Chambord et son mystère »

Notre deuxième livre de la semaine, Le comte de Chambord et son mystère, écrit en 1999 par Jean-François Chiappe, rappelle à dessein que Henri d’Artois fut le dernier prince de la Maison de France — à ce jour — qui aurait pu rétablir la royauté. Mais le contexte politique, la consolidation du camp républicain, autant que les maladresses autour du Drapeau blanc, en décidèrent autrement…


La vie de Henri d’Artois commence mal. Son père, le duc de Berry est assassiné par un bonapartiste nommé Louis-Pierre Louvel. Ce dernier désirait « détruire la souche des Bourbons », et ne manque pas de le faire savoir lors de son procès :

« Tout Français qui a porté un jour les armes contre sa patrie perd à jamais sa qualité de citoyen français ; les Bourbons n’ont pas le droit de rentrer en France, et surtout d’y vouloir régner. Louis XVI a été exécuté légalement et justement de l’aveu de la Nation entière ; la Nation serait déshonorée si elle se laissait gouverner par cette race de traîtres. » Le propos témoigne parfaitement du caractère fanatique de ce révolutionnaire. Comme l’écrit alors Chateaubriand, « la fortune refusa à Monseigneur le duc de Berry la mort de Charrette et celle de Enghien, pour lui réserver celle d’Henri IV : elle voulait le traiter en roi. »

Durant son agonie, au cours de laquelle il demande à Louis XVIII la grâce pour son meurtrier, le duc de Berry dit à sa femme, Marie-Caroline des Deux-Siciles, de se ménager pour l’enfant qu’elle porte. Sept mois plus tard, le 29 septembre 1820 l’enfant du miracle, surnom donné par le poète Lamartine, vient au monde au Palais des Tuileries. Sa mère, lors de l’accouchement, consciente du trésor qu’elle portait dans ses entrailles déclara au praticien : « Souvenez-vous qu’entre les deux, vous ne devez pas hésiter. Ma vie n’est rien, la sienne est tout. »

L’enfant est prénommé Henri, en l’honneur du premier des Bourbons. Aimé voire adulé, il reçoit en cadeau, grâce à une souscription nationale, le domaine de Chambord, dans le Loir-et-Cher. Pour autant, Henri n’a pas la joie de connaître son père, ni d’avoir d’enfants. Il faut peut-être voir dans ce phénomène rare mais non pas unique, ce voile de mystère qui entoure encore ce petit-fils de France. En effet, comme l’écrit Chiappe :

« Ce prince privé de fils n’en est pas moins animé de sentiments paternels à l’égard de son peuple. C’est bien le motif pour lequel il ne montera jamais sur le trône ; il inspire la peur aux grands capitalistes (les plus intelligents) et aux petits (les plus bêtes). C’est ainsi que la gauche et l’extrême gauche seront liguées contre une restauration au sens plein du mot. »

Certains, aussi étonnant que cela puisse paraître, voient alors dans cet homme l’arbitraire même. Laissons Charles X leur répondre : « On pilerait tous les princes de Bourbon dans un mortier qu’on n’y trouerait pas un grain de despotisme. »

L’auteur permet de découvrir la jeunesse de l’enfant royal, et la suite de son existence sur les routes de l’exil. Même en dehors de son pays, le duc de Bordeaux, titre que lui donne Louis XVIII en hommage à la première ville s’étant raliée aux Bourbons en 1814, se soucie de cette France, travaillée par les factions orléanistes, bonapartistes, républicaines voire pré-marxistes. Il est parfaitement lucide sur les affaires de son temps, comme le démontre l’auteur : « Le prince voit fort bien la situation d’une Europe déchirée entre le capitalisme grossissant et le prolétariat furieux de maigrir. »

Le comte ne reste pas silencieux face aux différents problèmes nationaux et internationaux de son époque. Alors que le régime de Louis-Philippe, malgré quelques réussites économiques et politiques, rencontre des difficultés, des hommes politiques — de toutes tendances confondues — soucieux de l’avenir de la France contactent le Prince. S’ensuivent des réunions, des débats, comités, lettres et publications, qui toutefois ne ramènent pas Henri sur le trône de ses aïeux.

Il est intéressant de noter que déjà, la liberté d’enseignement constitue un des points non négociables de la doctrine légitimiste telle que théorisée par le comte de Chambord. En effet, au moment des palabres politiciennes sur cette question, le comte la chose suivante :

« Je m’associe à la lutte persévérante et courageuse des catholiques de tous les partis en faveur de la liberté de l’enseignement qui ne devrait avoir d’autres limites que l’autorité tutélaire d’un sage gouvernement. »

Rétrospectivement, certaines de ses idées présentent un accent très moderne, en ce qu’elles condamnent par exemple « les lois injustes qui privent le plus grand nombre des contribuables de la participation légitime au vote de l’impôt. » Ceci étant dit, il semble toujours difficile de comprendre un pays quand on n’y réside pas. Nonobstant la distance, l’éloignement et le concert de louanges qu’il reçoit, Henri se montre méfiant à l’endroit des adresses de sympathie et bien plus, que ces proches lui lisent le soir près du feu. Comment faire confiance aux Français en général, et à l’administration en particulier ? Chiappe le résume ainsi :

« Il est divertissant de consulter la liste des conseillers municipaux de l’époque. On retrouve les mêmes noms trempant à toutes les sauces : le Consulat, l’Empire, la Restauration, l’Acte additionnel, la deuxième Restauration, la monarchie de Juillet, la Deuxième République, et bientôt, le Second Empire. »

En définitive, le Français se montre bien plus légaliste que légitimiste. Après les échecs des différentes tentatives de restauration, beaucoup critiqueront Chambord pour son intransigeance envers les trois couleurs. Dans celles-ci, Henri d’Artois peut bien accepter — en dépit de quelques réserves — d’y voir Jemmapes et Austerlitz, mais non pas le tricolore de 1830, synonyme à ses yeux de trahison et d’usurpation.

Les textes exprimant sa position sur ce sujet sont connus, et nous ne les citerons pas ici. Pour autant, il ne faut pas oublier qu’il existe une différence notable entre le «  pays légal » (l’État et l’administration) et le « pays réel » (la Nation charnelle). D’aucuns disent : « avec une majorité assez confortable à la Chambre, Chambord fut incapable de prendre le pouvoir. » Le vicomte de Meaux, bon historien et brillant analyse, écrit d’ailleurs : « l’Assemblée était royaliste, mais le pays ne l’était pas. »

Plus de quarante ans après la prise de pouvoir orléaniste scellant l’exil de la branche aînée de la famille de France, sans oublier que la France avait connu différents régimes, monarchie constitutionnelle, la Deuxième République, le Second Empire, les Français dans leur grande majorité n’avaient-ils pas oublié les fleurs de lys ? Vaste question, à laquelle il est difficile de répondre avec certitude.

Malheureusement, les accusateurs qui reprochent à Chambord son inefficacité, oublient une donnée essentielle que lui-même répétait constamment,« Ma personne n’est rien, mon principe est tout. », assertion qu’il poursuivait en toute modestie : « Si je n’étais pas l’Aîné des Bourbons, je ne serais qu’un gros homme boîteux. » Son grand-père Charles X avait déclaré : « Je préfère être jardinier que de régner comme mon cousin le roi d’Angleterre. » Tout était dit, tout était consommé. Henri voulait être réellement et pleinement le roi de France, et non pas être l’otage d’un parti ou d’une coterie. Il n’entendait pas renier son statut, et être réduit à un vulgaire candidat républicain.

Chiappe livre une biographie intéressante et intrigante qui nous plonge dans un siècle troublé pour la France, tout en tentant de percer, non pas le mystère mais selon nous, l’énigme Chambord. Nous voyons les comités royalistes se mettre en place, les républicains manœuvrer habilement, la famille royale divisée. Nous découvrons également la montée en puissance d’Adolphe Thiers ainsi que sa chute, et le loyaliste du royalisme légitimiste se heurter à la duplicité du président Mac Mahon et de certains parlementaires… Les lecteurs, jeunes et moins jeunes, doivent lire ce livre s’ils veulent comprendre combien, en France, la Royauté incarnée, dans son acception classique (le légitimisme, porté par la Maison des Bourbons) se veut reposer sur un principe transcendant, qui unit et dépasse le peuple.

  • CHIAPPE (Jean-François), Le comte de Chambord et son mystère. Paris, Perrin, 350 p., 1999.

— Franck

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