À la suite de notre émission Date-clef, retrouvez dès à présent notre note historique sur l’instauration du Principat d’Auguste. La mise en place de ce nouveau régime fait suite à des décennies de guerre entre factions, après l’assassinat de Jules César.
► Des Ides de mars au triumvirat
Après l’assassinat de Jules César lors des Ides, le 15 mars 44 avant Jésus-Christ, s’affrontent républicains et césariens. Au sein de ces derniers, le consul Marc Antoine (83-30 avant Jésus-Christ) devient rival de Caïus Octave (63 avant Jésus-Christ-14 Jésus-Christ), fils adoptif de l’imperator déchu.
Opportunément, en décembre, les républicains jouent Caïus Octave contre Marc Antoine, de manière à diviser le front césarien. La manœuvre est difficile, et n’empêche pas, le 1er janvier 43 avant Jésus-Christ, l’attribution à Caïus Octave d’un imperium de propréteur, des ornements consulaires, d’un siège au sénat romain (parmi les questoriens) et du droit de pouvoir briguer le consulat dix ans avant l’âge légal. En effet, Caïus Octave n’a alors que dix-neuf ans. Ce faisant, le 7 janvier, il prend les faisceaux et les auspices.
Une première entente — temporaire — entre Caïus Octave et Marc Antoine voit le jour, après la « bataille » de Modène (en fait, une série d’affrontements sur plusieurs mois), à l’été. Dans les semaines qui précèdent, Marc Antoine est opposé à Décimus Brutus (vers 83-43 avant Jésus-Christ), assassin de Jules César, qui refuse de céder le contrôle de la Gaule cisalpine, au Nord de l’Italie. Le sénat soutient Décimus Brutus, et paradoxalement, Caïus Octave fait de même. Mais la mort au combat des deux consuls — Hirtius et Pansa — change précocement la donne. Le 19 août, Caïus Octave en profite pour revendiquer le consulat par la force des armes, s’associant avec Quinte Pedius.
Comme mentionné donc, Marc Antoine et Caïus Octave se rapprochent. Ils s’associent également au grand pontife (pontifex maximus), Marc Lépide. C’est la rencontre de Bologne, fin octobre, qui concrétise l’alliance entre les trois hommes : le triumvirat.
► La guerre entre Marc Antoine et Caïus Octave
Après quelques années durant lesquels le triumvirat combat efficacement en Sicile la rébellion de Sextus Pompée (68-35 avant Jésus-Christ), fils de Pompée le Grand, l’alliance se distend. Marc Antoine s’attache à ordonner les provinces romaines d’Orient, et même les États-clients de la République, nominalement indépendantes de celle-ci, mais fortement influencées par elle. Puis, il projette d’attaquer l’Empire parthe, dans l’actuel Iran.
Caïus Octave révélant à dessein au sénat les dispositions du testament de Marc Antoine, jugées trop favorables à l’Égypte et au monde grec, les sénateurs se rallient massivement au premier, malgré le caractère sacrilège du geste. Désormais, les deux hommes s’affrontent.
Marc Antoine perd définitivement son influence après ses défaites à Actium, le 2 septembre 31 avant Jésus-Christ, et à Alexandrie, le 1er août 30 avant Jésus-Christ. Acculé, il se suicide.
Après son retour triomphal à Rome, se pose la question de la prorogation des pouvoirs de Caïus Octave. Dans un geste de fausse humilité, il propose de remettre ses pouvoirs au sénat. Mais ce dernier refuse et, le 16 janvier 27 avant Jésus-Christ, après sa confirmation au pouvoir, est instauré un nouveau régime : le Principat. Caïus Octave prend alors le titre d’Auguste (Augustus).
Le Principat durera deux siècles et demi, preuve d’une relative stabilité des institutions qu’il génère et, certes aussi, de l’amplitude des conquêtes romaines à cette époque. L’Empire connaît d’ailleurs son extension maximale au cœur du Principat, sous Trajan (53-117).
► Les nouveaux pouvoirs du princeps, l’empereur de Rome
Le nouvel ordre public construit par Auguste se présente sur bien des points comme une réelle continuation du système républicain, complété par un élément nouveau : les privilèges accordés par voie légale au princeps, et les nouvelles règles en dérivant. In fine, Auguste réintroduit nombre de principes institutionnels caractéristiques de la République tardive : les élections, la législation populaire, le tirage au sort des proconsuls, l’administration partiellement directe des provinces par le sénat, de même que les limites temporelles (une année) et la collégialité (deux hommes) des pouvoirs.
Toutefois, l’empereur initie une réforme très importante, en privant les consuls de l’imperium militiae — le pouvoir militaire, sous-entendu, hors de Rome — et prévient ainsi théoriquement le retour d’imperatores ambitieux politiquement, parce que victorieux militairement. Mais cette chape de plomb sur les ambitions des milieux militaires n’a qu’un temps, et n’empêche pas, quelques décennies plus tard, l’émergence plus ou moins infructueuses d’usurpateurs : Clemens, Scribonien, Vindex…
► Approche historiographique du Principat
Comme le rappellent François Jacques (1946-1992) et John Scheid (1946- ) dans le monumental Rome et l’intégration de l’Empire, 44 avant Jésus-Christ-260 après Jésus-Christ, plusieurs tendances existent, qui regroupent les prises de position sur « l’avènement du Principat, et la nature de ce régime ».
La première d’entre elles, qui fait longtemps école, est l’œuvre de l’historien antiquisant prussien Theodor Mommsen (1817-1903). Selon Mommsen, dans son Histoire romaine (Römisches Geschischte), le Principat est en quelque sorte le résultat, l’ultime aboutissement de la volonté populaire révolutionnaire des Romains. De ce constat, il justifie la position du princeps (prince) comme celle d’un magistrat extraordinaire, tirant origine et légitimité du peuple. Il ne s’agirait pas au final d’une monarchie républicaine, mais d’une dyarchie entre le prince et le sénat, équilibre rompu au IIIe siècle, époque à laquelle l’empereur devient progressivement la source supra-légale du droit : c’est le Dominat. Toutefois, Mommsen s’en tient à une description des principes formels d’organisation des pouvoirs, non de la réalité. Il avance que le Principat consiste en une « autocratie tempérée par la révolution légalement permanente ».
Une deuxième approche s’appuyant sur les sources littéraires antiques, considère l’Empire romain en tant que dictature militaire. Deux historiens représentent cette opinion : l’Allemand Anton von Premerstein (1869-1935), puis le Britannique Ronald Syme (1903-1989. Ces auteurs, selon Jacques et Scheid, « décrivent le Principat comme un régime absolu déguisé, dont la façade républicaine ne serait que tromperie ». La fiction perpétuelle de la « restauration de la République romaine » (restitutio Res publica romanae) entretient alors ladite fiction.
Une troisième approche historiographique du Principat recouvre et développe le point de vue mommsénien, refusant toutefois de considérer une solution de continuité par rapport à la République. Dans ce cadre, l’Allemand Jochen Bleicken (1926-2005) rappelle que pour les Romains de la fin de l’ère républicaine, l’ordre constitutionnel est fait de règles de droit public assorties d’un ensemble complexe de coutumes. Cette combinaison est sensée maintenir une égalité relative entre famille nobles, et d’éviter qu’un seul homme ne concentre durablement le pouvoir.
BIBLIOGRAPHIE
- COSME (Pierre). Auguste. Paris, Perrin, 2005.
- JACQUES, (François), SCHEID (John). Rome et l’intégration de l’Empire, 44 avant Jésus-Christ-260 après Jésus-Christ. Paris, Presses universitaires de France (PUF), 1990.
- JALLET-HUANT (Monique). Marc Antoine : Généralissime, prince d’Orient et acteur dans la chute de la République romaine. Charenton-le-Pont, Presse de Valmy, 2009.
- MOMMSEN (Theodor). Römisches Geschischte (Histoire romaine, huit volumes). 1854-1886.