À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Robespierre, la fabrication d’un monstre », par Jean-Clément Martin, ainsi que quelques extraits marquants.
► Présentation de l’auteur
Jean-Clément Martin livre ici une nouvelle biographie de Maximilien Robespierre, chez Perrin, succédant à beaucoup d’autres. Son sous-titre de l’édition initiale de 2016, « la fabrication d’un monstre », n’est pas repris dans la réédition, publiée il y a quelques semaines.
L’auteur, spécialiste de la Révolution française et, en particulier des guerres de Vendée, est titulaire d’un double doctorat en histoire. Ses apports à l’historiographie de la Révolution concernent avant tout l’étude de la Vendée militaire comme lieu mémoriel et le rôle de la religion dans la Révolution. Ancien professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Nantes, il enseigne depuis en Sorbonne.
► Orphelin dès et de son enfance
Né à Arras, le 6 mai 1758, Maximilien Robespierre est le fils aîné de François Robespierre (1732-1777), avocat au Conseil supérieur d’Artois, et de Jacqueline-Marguerite Carraut (1735-1764). À sa naissance, ses parents ne sont mariés que depuis quatre mois.
Par son père, son ascendance est celle de gens de robe artésiens. Il compte un grand-père avocat, un bisaïeul procureur, un trisaïeul notaire et bailli. Sa mère est d’origine plus modeste, puisque fille de brasseur.
Quatre autres enfants suivent : Charlotte (1760), Henriette (1761), Augustin (1763) et un mort-né qui fait décéder la mère à son tour, onze jours plus tard. Robespierre est donc orphelin dès ses six ans, ce qui ne manque pas d’endurcir son caractère et d’influencer sa vie future. À cette épreuve s’ajoute de plus le départ du père, bien que les sources divergent : selon l’historien français Gérard Walter, spécialiste de la Révolution, ce départ n’est pas immédiat et daterait de 1767 environ, soit trois années plus tard.
Toujours est-il que le père s’en va à Mannheim, dans le Palatinat, plaide encore quinze affaires au Conseil d’Artois en 1772, puis semble définitivement s’éloigner : on le retrouve à Cologne, et il meurt vraisemblablement à Munich, en 1777 (selon Henri Guillemin). Il est de toute façon alors loin dans l’esprit de Robespierre, tout occupé à sa formation juridique.
► Les années de formation
Recueilli par son grand-père maternel, Jacques Carraut (1701-1778), Maximilien Robespierre entre au collège d’Arras, ancienne institution des Jésuites. Chef de famille de facto, il semble devenir sévère et sérieux, trait de caractère qu’il conserve définitivement. En 1769, il parvient à obtenir une première bourse : quatre cents cinquante livres annuelles, accordées par l’abbaye de Saint-Vaast (actuelle Saint-Vaast-en-Cambrésis, près de Cambrai). Cet argent lui permet d’entrer au prestigieux collège Louis-le-Grand, à Paris.
Les douze années d’études qu’il y passe le font sortir du dénuement et lui permettent des rencontres fructueuses : Louis-Marie Fréron et Camille Desmoulins notamment, qui l’accompagnent ultérieurement en politique. Robespierre est un élève brillant, qui cumule les prix en grec et latin. Son premier biographe, Liévin-Bonaventure Proyart (1743-1808), abbé qui est son premier biographe, le décrit comme un élève studieux, uniquement dédié au travail ; un solitaire, peu expansif. Durant sa scolarité, il est connu pour prononcer un compliment en vers au roi Louis XVI, nouvellement sacré.
Reçu bachelier en droit de la Faculté de Paris en 1780, il obtient sa licence l’année suivante. Ces diplômes lui ouvrent une carrière d’avocat, en tant qu’inscrit au Parlement de Paris, mais exerçant à Arras, tandis que ses bonnes notes lui attribuent une récompense de six cents livres, et l’attribution de sa bourse à son frère.
► De retour à Arras
Revenu à Arras, il y trouve une situation familiale changée du tout au tout : mort de ses grands-parents et de sa sœur Henriette. Il hérite d’un millier de livres et s’installe dans une maisonnette de la rue Saumon, avec sa sœur restante, Charlotte.
Tout comme son père et son grand-père, il s’inscrit au Conseil provincial d’Artois. C’est depuis Arras qu’il plaide pour la première fois, en janvier 1782. Nommé juge au tribunal épiscopal en mars, il s’installe dans une nouvelle maison, rue des Jésuites, où il passe six ans.
En mai 1783, l’affaire du paratonnerre de Vissery le distingue parmi ses pairs, sur fond de scepticisme face aux progrès de la science. Il effectue alors un plaidoyer célèbre, auxquels succèdent d’autres grandes interventions : l’affaire Deteuf, face aux bénédictins de Saint-Sauveur d’Anchin.
Il effectue par la suite la synthèse de ces plaidoiries , qu’il publie sous forme de mémoires judiciaires. Son éloquence le conduit d’ailleurs à être accueilli au sein de l’Académie royale des Belles-lettres d’Arras, le 15 novembre. C’est Antoine-Joseph Buissart qui le parraine, son ancien collaborateur dans l’affaire du paratonnerre. Son autre parrain est Gracchus Babeuf, future grande figure de la Révolution.
► Robespierre député
Imprégné d’un certain idéalisme propre aux philosophes de son époque — à commencer par Jean-Jacques Rousseau, qu’il semble rencontrer furtivement dans sa jeunesse — Maximilien Robespierre participe logiquement à la vie politique arrageoise. En janvier 1789, il est l’auteur d’un mémoire : À la Nation artésienne, sur la nécessité de réformer les États d’Artois. Il complète cet opuscule au printemps, puis édite un deuxième texte plus radical, Les Ennemis de la Patrie, alors que se préparent les États généraux, pour la première fois depuis quasiment deux siècles.
Poussé par des amis et sa famille, il se porte alors candidat à la représentation du Tiers-État aux États généraux. Les savetiers-mineurs, corporation pauvre mais majoritaire, lui confient la rédaction d’un cahier de doléances, en mars. Cette expérience donne une bonne image au candidat Robespierre, successivement choisi pour représenter l’assemblée des non-corporés d’Arras, puis les électeurs du Tiers-État de la commune. Définitivement élu le 26 avril par l’Assemblée électorale d’Artois, il figure de justesse parmi les huit députés locaux du Tiers. C’est le début de cinq années d’une ascension politique continue.
Sa première intervention à l’Assemblée constituante est datée du 18 mai suivant. Par la suite, il prend la parole à une soixantaine de reprises jusqu’à la fin de l’année, puis une centaine en 1790, et autant jusqu’au terme de la Constituante, en septembre 1791. C’est donc, clairement, l’époque de ses premiers grands discours : contre la loi martiale (21 octobre 1789), contre le marc d’argent, relatif au suffrage censitaire (25 janvier 1790), pour le droit des Avignonnais à se soustraire à l’autorité de Pie VI (18 novembre 1790), pour la non-rééligibilité des députés (16 mai 1791), ce qui vise Antoine Barnave et Charles de Lameth, mais aussi lui-même, pour l’abolition de la peine de mort (30 mai 1791), etc. L’ascension de Maximilien Robespierre au sein de la Constituante se perçoit aussi par son élection au secrétariat, comme suppléant (4 mars 1791), puis comme titulaire (21 juin 1791), sous la présidence de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau.
Toutefois, les modérés lui opposent un député obscur, Luc Dauchy (1757-1817), élu de l’Oise, pour l’empêcher d’accéder à la présidence de l’Assemblée, en juin. Il se rapproche alors des Jacobins — qui viennent de le proposer comme candidat — à mesure qu’il s’éloigne d’André de Mirabeau (1754-1792), le jugeant immoral et duplice concernant la Monarchie. La rupture intervient le 6 décembre 1790. Dans le même temps, il prend ses distance avec les Gironde, notamment dans son journal, Le Défenseur de la Constitution. On le voit aussi parfois refuser la parole à ses adversaires, à l’instar de Lameth, sur l’égalité des blancs et des métis dans les colonies, pour laquelle il milite, le 13 mai 1791.
Vis-à-vis du roi Louis XVI, Robespierre évolue. Le 14 juillet 1791, quelques semaines après la fameuse fuite vers Montmédy, arrêtée à Varennes (près de Verdun), il demande sa déchéance, sans pour autant réclamer un jugement.
► Des Jacobins aux Feuillants
Une fusillade sur le Champ de Mars, quelques jours plus tard, voit Robespierre être accusé à tort. Elle entraîne une scission des trois quarts des Jacobins.
La clôture de la session, le 1er octobre 1791, lui permet de retourner à Arras et de voyager en Flandre. Il y constate sa popularité naissante. Rentré à Paris le 28 novembre, sans plus de mandat parlementaire, donc, il doit s’imposer, sur fond de climat belliciste.
En effet, la Révolution s’emballe. L’un des nouveaux députés de Seine, le girondin Jacques Brissot (1754-1793), veut la guerre contre les princes allemands. Robespierre acquiesce, mais en décembre, il recule, estimant qu’un conflit ferait le jeu du roi, et que l’armée n’est pas prête. Pour lui, la menace immédiate reste de plus intérieure. « Personne n’aime les missionnaires armés. », rappelle-t-il par ailleurs, évoquant sa réticence à l’engagement de la France dans une guerre.
► Conclusion : la fuite en avant
Un tel questionnement face à la guerre à mener en dit long sur les hésitations de Robespierre, face à l’Histoire. La fermeté de sa résolution et ses grands principes théoriques, mus par la vertu, sont ainsi ébranlés par le réel : un pays qui, symboliquement, s’est coupé la tête et se cherche une voie de secours. Robespierre n’hésite toutefois pas longtemps.
Absorbé par l’Histoire de France, laquelle s’écrit alors en lettres de sang et de feu, il verse bientôt dans le fanatisme. Cette fuite en avant, c’est le terrible épisode du Comité de salut public et de la Terreur de 93, dont les Vendéens — et tous ses opposants en général — feront les frais.
— Gauthier BOUCHET