À la suite de notre émission Date-clef, retrouvez dès à présent notre note historique sur les débuts du Mai-68 ouvrier. Cet événement représente encore à ce jour la plus grande grève générale de l’histoire de France.
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► Les prémices d’une « France qui s’ennuie »
En France, les résultats des élections législatives de 1967 exposent une certaine lassitude de l’opinion publique vis-à-vis du régime gaulliste, en place depuis neufs ans. Mais l’Union pour la Nouvelle république (UNR) conserve malgré tout la majorité, et rien ne semble laisser croire qu’il va se passer quoique ce soit de nouveau dans la vie politique du pays.
Quelques mois plus tard, en mars 1968, dans un article qu’il donne au Monde, Pierre Viansson-Ponté parle par la suite d’une « France qui s’ennuie ». Et pourtant, pour reprendre les mots de Jacques Chapsal dans le premier tome de sa Vie politique sous la Cinquième République, l’année 1968 voit se jouer en France « une grave crise politique et sociale, d’origine universitaire, où les pouvoirs publics faillirent sombrer ». Au terme de cette confrontation entre Charles de Gaulle et une partie de la France, Chapsal assume que le premier est dorénavant mis « en situation d’Église triomphante », compte tenu de la grande contre-manifestation gaulliste de mai — environ six cents mille participants — et de la nouvelle victoire aux législatives de juin.
Au sujet de ces événements de Mai-68, une classification historiographique classique établit une distinction entre trois phases quasiment successives : la crise universitaire, la crise sociale, la crise politique. Beaucoup d’historiens admettent toutefois le caractère artificiel et rigide de cette typologie.
► Vers le Mai-68 ouvrier : la crise des universités
Le Mai-68 des ouvriers n’st pas une évidence. Il n’est pas davantage la première phase du conflit avec le pouvoir gaulliste. Il dérive en fait de l’agitation étudiante et gauchiste, du début mai sans pour autant que l’on puisse constituer en tous points de convergences des luttes.
Pour autant, la part ouvrière de Mai-68 ou quelques signes annonciateurs. Aussi, fin janvier, à Caen des jeunes ouvriers spécialisés de la SAVIEM, une filiale de Renault fabriquant des véhicules industriels, font une jonction inédite avec des étudiants d’extrême gauche. S’ensuit une manifestation de casseurs, contestée par les syndicats, lesquels jouent un rôle de modération, alors que le pouvoir les satisfait par l’ordonnance des contrats d’intéressement, depuis août.
Cette jonction entre milieux étudiants et milieux ouvriers, on le verra, ne sera pas systématique. Initialement, la masse des ouvriers ne comprend pas les revendications des étudiants qui commencent à essaimer, le 22 mars, depuis la Faculté de Nanterre, autour de Daniel Cohn-Bendit. C’est en fait la première phase de répression par le Gouvernement de Georges Pompidou, un mois et demi plus tard, qui solidarise une partie des ouvriers. En effet, les événements parisiens violents de la Nuit des barricades, entre les 10 et 11 mai, suscitent la protestation de larges parts de l’opinion publique, d’où une réprobation jusqu’à droite, chez les Républicains indépendants (giscardiens) et surtout dans toute la gauche, notamment les centrales syndicales. Celles-ci appellent alors à la grève et aux manifestations, pour le surlendemain.
Débordées, les organisations syndicales abordent ce mouvement naissant avec crispation. La Confédération française démocratique du travail (CFDT) estime que, d’un bon emploi de ces crises étudiante et ouvrière, peut résulter un changement positif de la société.
► Vers la grève sauvage et générale
Le 13 mai est le point de départ d’une grève générale qui, à terme, concerne dix millions de Français. Les stations d’essence ne sont plus approvisionnées, la télévision et la radio sont partiellement interrompus. A Paris, environ six cents mille personnes défilent contre le Gouvernement.
Contrairement à leurs attentes, les syndicats ne parviennent pas à encadrer le mouvement social. Celui-ci essaime alors en province. Le 14, c’est le débrayage à l’usine Sud-aviation de Bouguenais, près de Nantes. Le surlendemain, depuis la Sorbonne, des étudiants lancent un appel à l’occupation immédiate de toutes les usines du pays, et la formation de conseils ouvriers, sur le modèle des soviet de la Révolution russe.
Le 17, la fraction situationniste jusqu’ici présente en Sorbonne quitte les lieux, et se constitue en Conseil pour le maintien des occupations (CMDO), rue d’Ulm, à Paris. Avec le CMDO, ces situationnistes tentent de susciter une auto-organisation du prolétariat dans les usines. Cette tentative de politisation des masses ouvrières prend mal, ici comme ailleurs (à Boulogne-Billancourt, les ouvriers ferment les grilles de l’usine Renault, face aux gauchistes), cependant que la grève s’étend dans tout le pays, et devient « sauvage ».
Progressivement, la grève se politise. François Mitterrand parle alors de la nécessité de constituer un gouvernement provisoire, dirigée par une figure de consensus à gauche aussi bien que chez une partie des gaullistes : Pierre Mendès France, ancien président du Conseil. Cet appel à Mendès débouche sur un meeting unitaire au stade Charléty, le 27, mais l’initiative fait long feu.
Se sentant débordé et menacé, le Parti communiste (PCF) répond positivement aux propositions du Gouvernement d’une concertation, en vue d’une reprise de travail. Ce même 27, sont conclus les accords de Grenelle, qui prévoient une augmentation de 35 % du SMIG (le salaire minimal) et de 10 % pour les autres salaires, de même que la création de sections syndicales d’entreprises.
► Les acquis de la grève
Les acquis sociaux des accords de Grenelle sont sans précédent depuis la Libération. Pour autant, ils ne parviennent pas immédiatement à endiguer la grève, malgré l’annonce triomphale de ce qui vient d’être obtenu par Georges Séguy, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT), aux ouvriers de Renault, à Boulogne-Billancourt.
Le discours de Mendès au stade Charléty n’apaise de plus pas les craintes du PCF, qui choisit de maintenir son soutien aux syndicats et aux grévistes, pour tâcher de maîtriser le mouvement. Le 29, les communistes font ainsi défiler leurs militants à Paris, en petit nombre. Ils exigent alors un « gouvernement populaire ». Dans le même temps, de Gaulle part quelques heures à Baden-Baden, et pense à se retirer.
Le retour du Général, le lendemain, et la dissolution de l’Assemblée nationale, enrayent en partie le dynamisme des grèves. Le 31, l’essence revient dans les stations, l’armée reprend possession des émetteurs ORTF occupés et certains de ses journalistes sont licenciés, au motif d’avoir fait grève.
Des élections sont organisées dans les entreprises (et parfois, truquées), qui poussent globalement à la reprise du travail. Mais, ponctuellement, les bases syndicales refusent les accords de Grenelle et la fin de la grève. En conséquence, les CRS chargent dans plusieurs usines : les 7 et 10 juin à l’usine Renault de Flins, dans les Yvelines, le 11 à Sochaux.
Parfois occulté au sein du Mai-68 français et international des étudiants, la grève générale de mai et juin 1968 n’en reste pas moins le plus important mouvement social à ce jour en France. Connu pour les acquis de Grenelle (à telle enseigne que ce mot est passé dans le langage courant), ce vaste mouvement ouvrier est aussi perçu comme la première manifestation concrète des limites du thème de la « convergence des luttes », par exemple entre ouvriers et travailleurs. Cinquante ans plus tard, la gauche radicale ne semble toutefois pas lucide sur les limites de cette convergence.
BIBLIOGRAPHIE
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- MASSOT (François de). La grève générale de mai-juin 1968. Supplément au numéro 437 d’Information ouvrière, 1968
- TALBOT (Jean-Philippe). La grève à Flins : documents, témoignages. Paris, Maspero, 1968