NOTE — La bataille des Champs catalauniques

À la suite de notre émission Date-clef, retrouvez dès à présent notre note historique sur la bataille des Champs catalauniques. Cet événement voit la confrontation des Huns et des Romains, chacun étant alliés à différentes tribus barbares.


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► Rome, un empire en déclin

Thème bien connu de l’historiographie comme de la littérature, le déclin de l’Empire romain d’Occident, au Ve siècle, est le contexte dans lequel s’inscrit la bataille des Champs catalauniques (Campus Mauriacus, en latin), le 20 juin 451. Cette défaite d’Attila et des Huns face à la coalition romaine et barbare conduite par Aétius semble pourtant marquer un temps d’arrêt, une pause dans ce déclin. Mais le répit n’est que de courte durée, car l’Empire romain cesse officiellement d’exister vingt-cinq ans plus tard, après la déposition de Romulus Augustule (vers 461-après 494), dans le même temps qu’il se poursuit en Orient, par l’entremise d’une civilisation nouvelle : les Byzantins.

Combat mené par un empire déclinant, donc, la bataille des Champs catalauniques marque une césure. Si Rome reprend la main, ce n’est qu’au prix d’une alliance militaire avec des peuples « barbares » (au sens de barbaroi, étrangers) avec lesquels elle est fédérée. Jacques Bainville, dans son Histoire de France, parue en 1924, insiste ainsi sur le caractère relatif et fragile de cette victoire, par un empire « tenu », et sur les traits diaboliques prêtés à Attila :

« À mesure que l’Empire [romain] s’affaiblissait, se consumait dans l’anarchie, [les] invasions devenaient plus fréquentes, et le nombre de barbares qui se pressaient aux portes semblait croître. Il en surgissait toujours de nouvelles espèces, heureusement rivales : ainsi, la Gaule fut nettoyée des Vandales par les Goths. Pourtant, au Ve siècle, la collaboration de la Gaule et de Rome s’exprima encore d’une manière mémorable par Aétius, vainqueur d’Attila, aux Champs catalauniques. Le roi des Huns, « fléau de Dieu », était à la tête d’un empire que l’on a pu comparer à celui des Mongols. Lui-même ressemblait à Gengis Khan et à Tamerlan. Il commandait à des peuplades jusqu’alors inconnues. Aétius le battit près de Châlons, avec l’aide des Wisigoths et des Francs, et cette victoire est restée dans la mémoire des peuples. »

Un siècle après ce récit cataclysmique, la bataille des Champs catalauniques a perdu un peu de son caractère d’acte fondateur de l’Histoire de France. Son récit est par exemple curieusement absent du livre de Bruno Dumézil sur l’histoire de la Gaule, Une histoire personnelle de la France. Des Gaulois au Carolingiens (2013).

► L’empire d’Attila

L’empire des Huns commence à atteindre une masse critique dans les années 370, au moment où ils franchissent la Volga et soumettent les Alains. Ils dépassent ensuite le Don et soumettent les Ostrogoths. Les Wisigoths, alors au Nord du Danube, préfèrent entrer dans l’Empire romain d’Orient, et de là, arrivent en Gaule en 418.

Poursuivant leur avance vers l’Ouest, les Huns suscitent d’autres mouvements des peuples germaniques. Ils s’installent alors dans les plaines danubiennes de Pannonie. Cette pression hunnique déborde en Occident, avec l’invasion de l’Empire en 407. La capitale est alors déplacée à Ravenne.

► Aux origines de la bataille

En préalable de la bataille, Attila se rapproche de Genséric, roi des Vandales, qui lui sert aussi d’agent de renseignement et de diplomate. L’origine du combat est la quête du butin et le refus par Marcien (vers 394-457), empereur d’Orient, de payer celui-ci. Attila se tourne alors vers l’Occident jusque-là épargné.

Attila semble prétexter pour son intrusion sur le sol de Gaule qu’il compte soumettre les Wisigoths, peuple fédéré aux Huns. En effet, pour les Huns, tout peuple soumis un jour aux Huns leur doit tribut pour la postérité. La démarche n’est pas fortuite, l’Aquitaine, possédée par les Wisigoths, étant de loin la province la plus riche des Gaules.

► La bataille et ses deux figures : Aétius et Attila

Aétius, le vainqueur d’Attila, est l’un des principaux généraux de l’empereur d’Occident, Valentinien III. Ce militaire, ancien otage des Huns, tire de sa période passée à leur cour une connaissance certaine de leur psychologie.

Devant contenir les peuples barbares, il repousse les Wisigoths et les Francs. Mais la menace hunnique, qui se précise à parti de 449, l’oblige à susciter une alliance militaire avec ces peuples autrefois repoussés. Les Huns stationnent alors en Hongrie, et s’unifient sous le joug d’un nouveau chef, en 450 : Attila. Ce dernier, sentant l’Empire faible, mène ses troupes vers l’Ouest. Les Huns dépassent le Rhin avec facilité, faute de résistance des Burgondes, partis en Sapaudie, entre le Jura et les Alpes. Ils investissent et détruisent Metz, Reims et Troyes, puis visent Aurelianum (actuelle Orléans). Aétius lève alors des armes, et obtient donc des Wisigoths l’application du traité militaire les liant à Rome.

Pourtant, Attila s’arrête à Lutèce (actuelle Paris), sans chercher à la conquérir. On ignore s’il reçoit alors un tribut des patriciens pour épargner la ville, ou s’il ne souhaite pas prendre de retard de crainte de rencontrer les troupes romaines. Là, intervient l’épisode célèbre de Geneviève (vers 420-500), enjoignant les Lutétiens à ne pas abandonner leur cité.

Inversement, le roi alain Sangiban, promettant initialement d’ouvrir les portes d’Aurelianum aux Huns, connaît une occupation forcée des Romains et voit ses troupes rallier les leurs. Au final, Attila n’insiste pas pour prendre Aurelianum. Il fait retraite, jusqu’au niveau des Champs catalauniques, deux cents kilomètres à l’Est, où il fait face à la coalition d’Aétius, le 20 juin 451, au niveau de l’actuelle ville de Moirey (près de Troyes).

La bataille des champs Catalauniques réunit les armées fédérées et les forces romaines présentes en Gaule. Des préfets, tel Avite (vers 395-456), y participèrent activement, ainsi que les représentants de l’Église chrétienne d’Occident. C’est au final une coalition de peuples hétéroclites contre l’envahisseur hunnique.

Les Huns combattent au centre du champ de bataille. Des cavaliers légers agissent à l’aide d’arcs en tirant sur l’ennemi pour le harceler, puis finissent par le combattre à l’épée. Leur équipement est partiellement romanisé, après un siècle de contacts. À l’aile gauche, sont placés leurs meilleurs alliés : les Ostrogoths, dirigés par trois frères : Thiudimir, Valamir, Vidimer. Ils combattent avec une cavalerie lourde et blindée, dotée de lances en première ligne, puis une seconde ligne de réserve, l’infanterie, et une aile droite faite de troupes d’infanterie suèves, hérules et thuringiens, les moins bonnes troupes. Les Gépides (originaires de Basse-Vistule) font la jonction avec les Huns du centre.

Les forces impériales sont composées pour leur part d’une coalition de fédérés et d’alliés de l’Empire, et non de ses légions, qui ne sont plus qu’un souvenir à cette époque. Ætius utilise au préalable ses talents de diplomate pour réunir une coalition de peuples barbares fatigués des razzias des Huns. L’ensemble représente environ quarante-cinq mille hommes. Où sont les unités romaines régulières ? Il n’y en a plus à cette époque, cette notion est même sûrement dépassée. On peut supposer qu’Ætius a ramené d’Italie une garde personnelle de cavalerie.

Alliés à cette force, les Wisigoths du roi Théodoric sont placés à l’aile droite. Théodoric est secondé par ses deux fils Thorismond et Théodoric II, respectivement commandants de l’aile droite et gauche de l’armée wisigothe. Cette dernière est constituée de la même manière que celle de ses cousins Ostrogoths. Au centre, se placent les Alains : ce sont des cavaliers lourds équipés à la sarmate, de façon romanisée. L’aile droite est commandée par Aétius, maître des deux milices et qui rassemble un ensemble hétéroclite de Francs, de Sarmates, de Burgondes, de Saxons et de Gallo-romains. Les Francs forment la majorité de cette aile. Ce sont avant tout des fantassins, tandis que les Sarmates sont des cavaliers lourds avec armure d’écailles et casque segmenté, combattant à la lance. Tous les autres sont des fantassins.

Cette armée qui affronte Attila est ce faisant plus barbare que romaine. Elle gagne, mais au prix de lourdes pertes, dont Théodoric. Défait, Attila part en Italie, prend Aquilée (452) et marche sur Rome, qu’il rançonne en s’adressant au pape Léon. Ce dernier le fait s’en détourner.

L’historiographie de Rome et de ses alliés attribue logiquement la victoire au chef recruteur des coalisés romano-germaniques, Aétius, qui ne peut cependant pas battre Attila sans l’aide des Wisigoths lesquels désertent le champ de bataille. Par vengeance, Attila décide de frapper le cœur de l’Empire romain d’Occident, en Italie.

Il faut rappeler que l’Église est alors la seule structure sociale restant solide, en cette période de délitement de l’Empire. Malgré son appui et celui des évêques des Gaules, l’administration romaine d’Aétius perd le contrôle d’une grande partie de la Gaule, mais surtout, tout en conservant les structures administratives et religieuses, elle est dans l’obligation de changer hâtivement les protections politiques et militaires des cités.

Dès lors, l’Eglise laisse les anciens limes (frontières de l’Empire) aux différents peuples germaniques installés à leurs voisinages, ordonne la migration du légendaire peuple des Burgondes, anciens gardiens officiels des limes de l’Empire, vers le Sud, et leur établissement en Gaule romaine orientale, au nord des Alpes. Ainsi les Francs, simples auxiliaires du limes rhénan batave, obtiennent une entrée officielle de protecteurs auxiliaires dans les cités du nord de la Belgique seconde.

► Le rapidement délitement de l’Empire hunnique

Mais ces conquêtes et l’Empire hunnique ne résistent pas à la mort – accidentelle – d’Attila. Et, paradoxalement, Aétius ne jouit pas longtemps de sa victoire. En effet, craignant en ce général ambitieux, Valentinien l’égorge de sa main. Les partisans d’Aétius assassinent alors l’empereur en retour…

Cette double mort d’Aétius et de Valentinien fragilise un empire pourtant vainqueur des Huns. S’ensuivent vingt années de dirigeants fantoches, et d’un pouvoir faible. Ce contexte favorise naturellement l’extension des domaines barbares, dont ceux des propres alliés d’Aétius, les peuples wisigoth et franc. En Bretagne (Angleterre), les Scots et les Pictes éliminent définitivement les Romains, alors que ceux-ci venaient de restaurer leur présence, en 418. Pris de court, Aétius, sollicité n’avait pas pu les « sauver ».

La conflagration s’accélère vers 453, alors que les Romains de Bretagne, faute d’Aétius, font appel aux fédérés saxons. Ceux-ci combattent, mais se révoltent ensuite, tandis que de nouveaux envahisseurs – Jutes et Angles – envahissent l’île au niveau du Kent. Pratiquement au même moment, Rome est pillée par Genséric, et l’empereur, déposé, remplacé par un général fédéré : le Suève Ricimer.

En dépit de son caractère momentanément miraculeux, le combat des Champs catalauniques est donc pratiquement sans lendemain. S’ensuivent vingt années de dégringolade pour le pouvoir romain. Quant aux anciens barbares fédérés, ils connaissent des sorts divers. Mais la tribu franque tire réellement son épingle du jeu. Tant et si bien qu’une génération après, sous Clovis (466-511), les Francs bâtissent un premier royaume stable au Nord de la Gaule, amené à durer plusieurs siècles.


BIBLIOGRAPHIE

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