Notre troisième livre de la semaine, La Bastille. Mystères et secrets d’une prison d’État, écrit en 2016 par Jean-Christian Petitfils, revient sur l’histoire de cette imposante prison royale bâtie au XIVe siècle, progressivement devenue un symbole d’absolutisme. La petite histoire des alcôves y côtoie la grande, des convulsions révolutionnaires…
On ne présente plus Jean-Christian Petitfils. Il est l’auteur de nombreux ouvrages couronnés de succès, dont de nombreuses biographies1, qui nous permettent de mieux connaître et comprendre notre histoire.
Dans le présent livre sur la Bastille, sous-titré « Mystères et secrets d’une prison d’État », il nous présente une Bastille bien éloignée des clichés propagés par le système éducatif républicain. La force de ce nouvel opus repose sur deux éléments. Comme à son habitude, l’auteur fouille et décrypte les archives. De plus, son ouvrage n’est pas qu’historique au sens académique du terme. Il se lit également comme un véritable roman d’aventures. En effet, les embastillés se livrent à des activités tellement diverses et variées que nous avons peine à y croire. Au sein de la vieille forteresse royale, il y a des rebellions, des expériences alchimiques autorisées par le Gouvernement, des évasions ratées ou réussies, la naissance d’un enfant, l’écriture de grands livres2, et, bien évidemment des histoires d’amour. En effet, bien qu’elles ne représentèrent que 10 % des prisonniers tout au long de l’histoire de la Bastille, les femmes enfermées ne se privaient pas de coquetterie et de galanteries, au point de faire tourner la tête de leurs gardiens et confrères prisonniers.
Comme chacun sait, la Bastille est prise le 14 juillet 1789 par les émeutiers. Elle a une triste réputation à cette époque, représentant un « symbole de l’absolutisme royal ». Déjà, son aspect massif en imposait aux Parisiens. Nicolas Restif de La Bretonne écrit ainsi :
« C’était un épouvantail que cette Bastille redoutée, sur laquelle, en allant chaque soir dans la rue Saint-Antoine, je n’osais lever les yeux3. »
De même, les écrits des philosophes, non dépourvus d’exagération, contribuèrent à sa mauvaise réputation. A ce sujet, le chapitre intitulé La Bastille et l’opinion expose comment la propagande et la force du verbe peuvent altérer et transformer la vérité. Voltaire, lors de son deuxième embastillement, écrit ainsi des vers4 dans lesquels il se plaint de son fort mauvais traitement, alors qu’il est bien considéré. Il peut même dresser la liste de ses besoins :
« Deux livres d’Homère, latin-grec ; deux mouchoirs d’indienne ; un petit bonnet ; deux cravates ; une coiffe de nuit ; une petite bouteille d’essence de geroufle. »
L’ironie de l’histoire reste que la Bastille souffre de la réputation contraire d’être à la fois « la plus douce et la plus dure prison de France ». Comme pour la vie en dehors de la forteresse, tout dépend du statut social du prisonnier. Certains finissent par mourir des mauvais traitements, de l’absence d’hygiène et des misérables conditions de vie. D’autres, à l’image du cardinal de Rohan, peuvent se promener librement dans l’enceinte. Il reçoit même ses amis et autres affiliés :
« Il préférait, quant à lui, recevoir dans son appartement aménagé dans le bâtiment de l’état-major, où rien ne ressemblait à une prison. Les festins qu’il y donnait étaient des plus fins et des plus recherchés. On mettait dix, quinze, vingt couverts, les repas, en robes brodées, gilets de soie, manchettes de dentelles et perruques poudrées, s’achevaient fort tard. »
Ces conditions de vie ne se voient réserver qu’aux hôtes les plus prestigieux, comme écrit plus haut. Certains prisonniers ne disposent que d’une maigre paillasse pour dormir, et d’autres doivent attendre plusieurs mois avant de recevoir une couverture. Des détenus ne supportant pas leurs détentions, refusent de manger et se laissaient mourir. Pourtant, dans la même prison, des reclus de haute naissance préfèrent — malgré leur élargissement — rester quelques jours de plus, voire même des mois pour profiter du traitement « royal » qui leur est réservé. Comme quoi, l’Histoire n’est jamais simple.
Concrètement, ce livre commence par un historique de la Bastille, en expliquant les raisons de sa création et de son appellation. Nous voyons alors naître ce bâtiment qui devient un acteur majeur de l’histoire de la ville de Paris, et bien évidemment de l’Histoire de France. Indubitablement ce château aura toujours représenté un intérêt stratégique, durant les guerres de religion, pendant la Fronde et la Révolution.
Après ces salutaires rappels historiques, Petitfils aborde par le menu le fonctionnement de cette prison d’État. Il évoque également dans les grandes lignes les mécanismes de la justice royale. Puis, il nous livre des faits historiques intéressants qui confirment que la Bastille permet d’en apprendre beaucoup sur l’histoire du pays et sur la Révolution.
En effet, les grands du royaume rebelles à l’autorité royale connurent l’hospitalité de la Bastille, en même temps que des sujets de la plus basse extraction. Des prisonniers d’État, comme les espions ennemis et autres assassins, séjournèrent dans cette prison. Suite à l’affaire des Poisons qui gâte plusieurs années du règne de Louis XIV, les protagonistes connaissent les geôles de la Bastille… Le Masque de Fer même, y meurt. La fausse Marie-Antoinette du bosquet de Vénus, dans l’affaire dite du Collier de la Reine, enfante dans cette prison.
Autant dire que la haute et sérieuse politique se mêle aux plus viles intrigues dans cette forteresse construite par Charles V en 1370, que les révolutionnaires saccagèrent en 1789, en prenant le soin, comme la coutume de la tabula rasa l’impose, de détruire et brûler les archives. Quant à nous, nous préférons les lires et les étudier. Ainsi nous recommandons fortement La Bastille, qui ravira les passionnés d’histoire…
- PETITFILS (Jean-Christian), La Bastille. Mystères et secrets d’une prison d’Etat. Paris, Tallandier, 282 p., 2015.
— Franck
1 — Nous citons notamment les ouvrages suivants que nous avons lus et grandement appréciés : sur Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI et Jésus-Christ.
2 — Louis-Isacc Lemaistre de Sacy, prêtre et théologien de Port-Royal, y traduit son commentaire de l’Ancien Testament. Le maréchal de Bassompierre en profite pour y achever s mémoires. L’abbé Roquette commence un volume de commentaires sur les Psaumes. Le marquis de Sade, au cours de son séjour y commet Les Cent vingt journées de Sodome, etc.
3 — Nous parlons de ses Nuits de Paris.
4 — « Me voici donc en ce lieu de détresse, embastillé, logé à l’étroit, ne dormant point, buvant chaud, mangeant froid, trahi de tous, même de ma maîtresse… »