NOTE — La prise du château de Montségur


À la suite de notre émission Date-clef, retrouvez dès à présent notre note historique sur la prise du château de Montségur. Cet événement marque la fin de l’hérésie albigeoise, que ses adversaires (Église de Rome comme Royaume de France) appelleront le catharisme, doctrine des « hommes parfaits ».


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► Le contexte historique : l’hérésie cathare

Comme le rappelle prudemment Claude Gauvard dans Le Temps des Capétiens, « Philippe-Auguste est d’abord un homme du Nord. », peu au fait, donc, des réalités sociales et politiques des principautés méridionales, qui ne constituent pas le cœur du royaume de France. Ainsi, les rois successifs délègue-t-ils leur pouvoir en Auvergne à un chef militaire, Guy de Dampierre, seigneur de Bourbon. Quant aux territoires frontaliers, en Guyenne et dans le Sud-Est, ils sont sous le joug de petits seigneurs, qu’il tolère, tout en recevant d’eux l’hommage dû à son rang. Mais des troubles se font jours dans le Languedoc et dans le Rhône, en proie à une hérésie religieuse : les Albigeois et Vaudois, que l’on connaît mieux sous le nom de cathares ; encore ce terme est-il d’un emploi postérieur. Ce dernier mot signifie « pur », en grec ancien.

Avec le temps, l’historiographie varie dans son appréciation du catharisme. Désormais, l’origine strictement dogmatique du mouvement albigeois est remise en cause. Apparaissant au XIIe siècle, cette pensée est réévaluée au siècle suivant, en intégrant un manichéisme inspiré du Sassanide Manès (216-274), sans que l’on perçoive bien d’ailleurs ce qui relève de la volonté de ces religieux et ce qui constitue, partiellement, une image reconstruite par leurs détracteurs.

En quoi consiste cette hérésie, déviant des dogmes de l’Église ? En fait, ces chrétiens du Sud, à commencer par les aristocrates, renâclent à appliquer strictement lesdits dogmes, tout comme ils demeurent rétifs au mouvement d’institutionnalisation de l’Église, cette réforme grégorienne imposant de nouvelles normes à partir du XIIe siècle, à travers le droit canonique, sur le mariage (imposé, et avec interdit de parenté au sein du couple).

Il ne s’agit en conséquence pas d’une hérésie constituée en tant que mouvement autonome. Ce n’est pas davantage un contre-dogme ou une Église dissidente.

Si les historiens estiment initialement que le catharisme est issue d’un « contre-concile » organisé à Saint-Félix-de-Caraman, près de Toulouse, en 1167, l’hypothèse semble désormais improbable, comme le montrent les recherches de Jean-Louis Biget, ces dernières années. Par ailleurs, l’absence d’archives écrites directes ne facilite pas la compréhension d’ensemble du phénomène. Celui-ci est avant tout connu par les témoignages de clercs, comme celui du théologien parisien Alain de Lille, vers 1190, auteur d’un traité anti-hérétique. Des juges inquisiteurs comme Bernard Guidoni complètent ce tableau déformé, à partir du XIVe siècle.

En fait, ce sont plutôt la méfiance puis les persécutions de l’Église de Rome qui entraînent la radicalisation des mouvements albigeois et vaudois. Alors, ceux-ci construisent leurs doctrines respectives, complétant ce qui n’était à l’origine qu’un refus aristocratique (tant noble qu’urbain) de la réforme grégorienne. Le catharisme s’élargit alors aux couches basses du peuple et aux villages ruraux, ce que montrera le supplice sur les bûchers de Montségur de petites gens, aux côtés de clercs ou de chevaliers puissants. C’est aussi l’époque où les cathares deviennent réellement manichéens dans leur approche de la foi chrétienne. Ils défendent alors la prédication en langue vulgaire (au lieu du latin), et l’institution de la pratique du consolament (consolamentum) comme seul sacrement reconnu, c’est-à-dire un « baptême d’esprit et de feu » donné en fin de vie plutôt qu’au début.

Quant au catharisme vaudois, mouvement frère des Albigeois, il essaime dans la vallée du Rhône, à l’initiative d’un riche marchand : Pierre Vaudès (1140-1217). Celui-ci, en 1173, choisit de faire traduire les Évangiles et les sentences des Pères de l’Église en langue vulgaire, soit en langue laïque. L’enjeu est considérable, et permet d’élargir la place des femmes.

C’est cela qui constitue en soi l’hérésie vaudoise : dans l’esprit des clercs, ce sont eux-mêmes seulement qui doivent comprendre le sens caché de l’Écriture, les laïcs ne devant connaître que les aperta, soit des aspects superficiels de celle-ci.

Initialement tolérés dans leur pratique par le concile du Latran (1179) par le pape Alexandre III, les Vaudois n’en essuient pas moins les critiques du clergé. Trois ans plus tard, ils sont excommuniés et même expulsés. Une communauté vaudoise migre alors dans le Languedoc, une autre en Italie.

► Une croisade contre les Albigeois

La prise de Montségur, en 1244, est finalement la queue de comète d’un vaste mouvement d’opposition aux hérétiques, à l’initiative de l’Église de Rome et du royaume de France. C’est la croisade contre les Albigeois.

Les mouvements albigeois comme vaudois reçoivent de nets appuis politiques : le compte Raymond VI de Toulouse (excommunié par le pape), le vicomte de Foix et celui de Béziers, Raimond-Roger Trencavel… De ce fait, cette agitation dans le Sud intéresse directement le roi de France, Philippe II l’Auguste (1165-1223), qui décide de « reconquérir » le Languedoc.

En parallèle, le mouvement est dénoncé par les Cisterciens et le nouveau pape, Innocent III, qui envoie dans le Languedoc un de ses protégés, Dominique (futur saint) en vue de convertir les hérétiques. Ce dernier s’établit en 1207 à Prouilhe, dans l’actuelle Aude, où il fonde une abbaye, premier couvent dominicain de femmes. Il met également en place les premiers tribunaux de l’Inquisition.

Mais cette présente papale par procuration dérange. En janvier 1208, un légat d’Innocent III, Pierre de Castelnau, est assassiné par un des écuyers de Raymond de Toulouse. Le pape en appelle alors aux armes. Timoré, le roi hésite et y renonce. Mais il laisse faire de nombreux barons du Nord, conduits par Simon IV de Montfort (vers 1170-1218). La perspective d’un combat fait alors changer de camp Raymond. Par cette volte-face, celui-ci trouve le prétexte d’un affrontement avec son rival : le vicomte de Béziers, Trencavel.

Cette rivalité dégénère lorsque, le 21 avril 1209, Béziers est mise à sac. On connaît de cette épisode la phrase célèbre d’Arnaud Amaury (1160-1225), légat du pape : « Tuez-les tous. Dieu reconnaîtra les siens. »

Mais les ambitions des croisés entraînent une seconde volte-face de Raymond. À Muret, le 12 septembre 1213, Pierre II d’Aragon intervient pour le soutenir. Les croisés sont toutefois vainqueurs. Pierre II meurt d’ailleurs au combat. Le comté de Toulouse passe alors définitivement dans l’orbite de la France. Simon de Montfort investit le comté et, depuis celui-ci, rend hommage au roi.

Ne s’avouant pas vaincu, le nouveau comte de Toulouse et fils du précédent, Raymond VII (1197-1249) doit subir une nouvelle croisade, en 1226. Elle aboutit à sa défaite et au traité de Paris (1229), par lequel il cède l’Est du comté, scindé en deux sénéchaussées : Carcassonne et Beaucaire, directement rattachées au royaume.

► D’un castrum à une communauté

Quelques années avant la croisade, à partir de 1204, un castrum (village fortifié) est bâti à Montségur, sur les ruines d’une ancienne forteresse. L’initiateur de cette construction — connue dans le patrimoine archéologique sous le nom de Montségur II — est Raymond de Péreille.

Le dispositif défensif de ce castrum comprend alors un castellum (demeure fortifiée du seigneur) et est entouré d’un village, lui-même entourée d’une enceinte fortifiée. Trois murs de défense se dressent par ailleurs. À huit cents mètre de distance, se trouve également une tour de guet, au Roc de la Tor (c’est-à-dire « de la Tour »), qui surplombe une falaise de quatre-vingt mètres de hauteur. L’entrée du castrum, qui donne sur cette tour, est défendue par une barbacane.

Au sein de cet ensemble fortifié, le village comprend des habitations avec terrasses, communiquant par des escaliers. Le village inclut également un silo et une citerne.

Rapidement, cette communauté cathare attire l’attention. Le concile de Latran la cite en 1215, comme repaire d’hérétiques. En 1229, par le traité de Meaux-Paris, il est admis que Montségur constitue un abri pour l’Église cathare. Dans le même temps, le château accueille les chevaliers faydits, ceux dépossédés de leurs terres par le traité en question. Parmi eux, figure Pierre-Roger de Mirepoix, cousin de Raymond Péreille, fondateur du site, une génération plus tôt.

► Trois assauts pour rien

Contrit par la présence de cette communauté autonome, le pouvoir royal tente à quatre reprises d’assiéger la forteresse.

La première tentative de conquête est menée par Guy de Montfort, en 1212.

Une deuxième est conduite par son frère, Simon IV de Montfort, l’année suivante.

S’ensuivent des décennies d’un statu quo relatif. Il faut ensuite attendre juillet 1241 pour un troisième essai, sous l’ordre du nouveau roi, Louis IX, et de la reine Blanche de Castille. L’entreprise est conduite par Raymond VII de Toulouse, qui lève toutefois le siège sans donner l’assaut.

► Massacre d’Avignonet et siège de Hugues des Arcis

Quelques mois plus tard, le sénéchal de Carcassonne, Hugues des Arcis, tente d’investir Montségur. Ce dernier siège est la conséquence du massacre d’inquisiteurs à Avignonet, par une soixante de soldats de la garnison de Montségur. Associé à l’archevêque de Narbonne, Pierre Amiel, le sénéchal commande une expédition de six mille croisés — soit une croisade à l’intérieur même du royaume de France — et entoure la forteresse, à partir de mai 1243.

L’entreprise fait long feu, jusqu’à l’escalade réussie de la tour de guet par quelques croisés, en décembre. Un trébuchet est alors monté, qui bombarde le château. En janvier 1244, c’est la barbacane qui tombe aux mains des croisés, a priori du fait d’une trahison du camp cathare. Fin février, les assiégés repoussent difficilement l’assaut. Se pose alors la question d’une reddition, et de ses modalités.

Au 1er mars, Mirepoix admet de négocier les termes de cette reddition. Ceux-ci comprennent le sauvetage des « parfaits », une fois leur foi reniée, de même que les laïcs et soldats seront épargnés. Une trêve de quinze jours doit être accordée aux cathares qui resteraient dans leur foi, de manière à ce qu’ils se préparent et reçoivent les derniers sacrements.

► De la reddition aux bûchers

Cette trêve étant achevée, le 16, la forteresse s’ouvre. Deux cents vingt et un cathares refusent de renier leur foi. Ils périssent donc sur le bûcher. Parmi eux, se trouvent la propre fille de Péreille, ainsi que sa belle-mère. Ces « parfaits » sont enfermés dans un enclos au pied de la montagne, où le feu est mis à des fagots. Les parents dissuadent leurs enfants de les accompagner, souvent en vain. Des soldats de la garnison de Montségur, tels Raymond de Belvis (arbalétrier) et Arnaud de Bensa (sergent) se sacrifient avec eux.

À partir de là, les récits divergent. Certains auraient chanté. Il est également rapporté que le bûcher est monté à deux cents mètres du castrum, dans ce qui devient le Camps dels cremats (Champ des brûlés). La plupart des suppliciés (cent quarante-sept d’entre eux) sont par ailleurs inconnus. Parmi les soixante-quatre ayant été identifiés figurent notamment Raymond Agulher, évêque du Razès, Guillaume Dejean, diacre, Guiraude de Caraman, châtelaine de Caraman, et de simples gens : un meunier de Moissac, Pons Aïs, une boulangère, Guillelme d’En-Marty, un marchand de Mirepoix, Pierre Robert…

► De la chute des cathares… au Pays cathare

Une fois le château pris, celui-ci revient à Guy II de Lévis (1180-1223), maréchal de la Foi et seigneur de Mirepoix. Le village et l’enceinte extérieure sont rasés.

Il reste de ces quelques années d’hérésie cathare la subsistance d’images fortes dans la culture populaire : un château réputé imprenable, les bûchers des suppliciés, et un élément symbolique, la Croix. Huit siècles après les faits, l’influence du catharisme demeure assez forte pour que le fait cathare, et le nom de « Pays cathare » soient « recyclés » dans le tourisme local. Ainsi, d’hérésie religieuse, le catharisme devient une « destination », parfois plus empreinte de fantasmes que d’une véritable historicité.

BIBLIOGRAPHIE

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