Notre onzième livre de la semaine, Afghanistan, 90 vies pour la France, écrit en 2017 par les contributeurs de l’association interarmées Solidarité-Défense, et préfacé par Jean-Yves Le Drian, s’intéresse aux morts français de la guerre d’Afghanistan, contre les Talibans.
Initié par l’association Solidarité-Défense1 et édité par Historien-Conseil, ce livre de deux cents vingt pages met à l’honneur les quatre vingt-dix soldats français engagés via l’OTAN dans la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS), et morts depuis le début de la guerre d’Afghanistan, en octobre 2001, jusqu’en 2012. Ouvrage historique mais aussi mémoriel, Afghanistan, 90 vies pour la France assume clairement de d’accompagner les familles dans leur travail de deuil, comme le rappelle Hélène de Champchesnel2, directrice de publication, lors de sa conception. Elle évoque à ce titre le livre « comme monument de mémoire ».
Avec cet ouvrage, c’est le retour quelque peu inédit — en tout cas, depuis la guerre d’Algérie — d’une tradition éditoriale française, celle du livre-mémorial, fille de la Première guerre mondiale. Annoncé en juin 2016 et notamment financé par bon de conscriptions, l’ouvrage connaît dès avant sa parution un large écho dans les milieux militaires et dans la presse régionale.
La préface par le ministre de la Défense de l’époque (et actuel ministre des Affaires étrangères), Jean-Yves Le Drian rappelle le soutien du Ministère à ce projet, notamment du Service historique de la Défense (SHD), ayant assuré la promotion du financement participatif du livre. D’autres partenaires institutionnels sont également associés à ce livre, tiré à mille quatre cents exemplaires, comme l’Association générale de prévoyance militaire (AGPM).
Donnant une large place à la photographie, ce beau livre fait également grandement part au portrait de chaque soldat, chacun étant constitué après contact des familles. Les photos rappellent tant les décorations militaires de chaque soldat au moment de son décès que les instants heureux de sa vie. Elles ont de plus le mérite d’être avant tout les photos des familles elles-mêmes, issues d’albums privés, beaucoup plus que des services de l’Armée.
Pour chaque soldat tombé au front, une double-page vient rappeler tant une vie que des faits d’armes qui remontent parfois à la Yougoslavie ou à la Première guerre du Golfe. Le récit déborde l’épopée militaire, pour retranscrit le quotidien concret des soldats français en Afghanistan : climat détestable (écarts de températures extrêmes entre la nuit et le jour, notamment) et terrain difficile, dans une montagne mal connue et peu praticable. Si le livre évoque naturellement les disparus, il n’omet pas s’attarder sur les blessés français du conflit, sept cents au total.
Au centre de cette rétrospective de ces « quatre vingt-dix vies pour la France », l’embuscade d’Uzbin occupe naturellement une place centrale, au titre de plus grosse perte des Français engagés dans la FIAS. Le livre rappelle logiquement dans le détail cet épisode tragique qui, le 18 août 2008, voit la mort violente de dix engagés français (ainsi qu’un interprète afghan) pris au piège des Talibans et de leur allié, la faction sunnite Hezb-e-Islami. Au-delà de pertes sans précédent depuis sept ans pour la France, il s’agit de plus d’une victoire inespérée pour la propagande talibane.
Comme le rappelle le livre, Uzbin est donc une charnière dans le conflit, alors que les Talibans semblaient plutôt sur le recul. La question d’un départ des troupes françaises ne tarde d’ailleurs pas à émerger, alors que les Américains eux-mêmes songent à se désengager. Et c’est finalement le nouveau président, François Hollande qui l’assumera, quatre ans plus tard. Les GI’s et l’OTAN en général ne partiront pour leur part qu’en décembre 2014, passant dès lors le relais à l’armée nationale afghane.
Ouvrage de qualité et se lisant rapidement, compte tenu de la présence de nombreuses photos, Afghanistan, 90 vies pour la France doit être lu pour comprendre tout à la fois l’honneur des militaires français en opération extérieure, et la difficulté récurrente que constitue, dans l’Histoire, toute opération militaire en Afghanistan, compte tenu du climat et des possibilités de cachettes comme d’embuscades offertes par le terrain de montagne.
On le sait, ces difficultés sont perçues dès le XIXe siècle par les Britanniques lors des guerres anglo-afghanes3, et vécues par la suite tant par les Soviétiques qu’au sein de la FIAS, par les Américains. Les Français n’y échappent pas, comme le rappelle ces quatre vingt-dix vies prises par un ennemi parfois invisible.
- LE DRIAN (Jean-Yves) (préface). Afghanistan, 90 vies pour la France. Saint-Jean-sur-Mayenne, Historien-conseil, 224 p., 2017
— Gauthier BOUCHET
1 — Créée en 1994, Solidarité-Défense est une association interarmées reconnue d’utilité publique, présidée par Claudie Haigneré, ancienne spationaute, qui revendique comme missions de manifester « la solidarité de la société civile envers la collectivité de la défense, et [d’apporter] plus particulièrement son soutien aux militaires en opérations ».
2 — L’éditeur évoque ce travail de deuil dans une vidéo de présentation diffusée par le 20 janvier 2017 par le Ministère des Armées, Afghanistan, 90 vies pour la France : la genèse d’un livre.
3 — Les trois guerres anglo-afghanes, entre 1839 et 1919, opposent le Royaume-Uni, par l’entremise de la British East India Company (Compagnie britannique des Indes orientales, BEIC) puis le Raj britannique, à l’Émirat d’Afghanistan, sous la dynastie Barakzaï. Le contexte géopolitique international est alors celui du Grand jeu. Les Britanniques sont alors en concurrence avec les Russes dans l’espace afghan, contingent de leurs possessions dans le sous-continent indien. L’armée britannique étant vainqueur en 1879, elle parvient à contrôler la politique extérieure d’un Afghanistan dès lors mis en sujétion (traité de Gandamak). Toutefois, à l’été 1919, les Afghans parviennent à reprendre le contrôle, et contiennent l’extension prévue du Raj britannique par-delà la passe de Khaïber.