NOTE — Jeanne d’Arc, héroïne de la guerre de Cent ans


À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Jeanne d’Arc en vérité », par Gerd Krumeich, ainsi que quelques extraits marquants.


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► Présentation de l’auteur

Réédition d’un livre traduit en français en 2012, à l’occasion des six cents ans de la naissance de Jeanne d’Arc, l’ouvrage Jeanne d’Arc en vérité présente l’originalité d’être écrit par un historien allemand et, qui plus est contemporanéiste. C’est donc globalement un regard différent de la moyenne des études johanniques qui est ici offert au lecteur.

Cet historien, Gerd Krumeich, est né en 1945 à Düsseldorf. Il est spécialisé dans la Première guerre mondiale.

Assistant de Wolfgang Mommsen à la Heinrich Heine-Universität de Düsseldorf, il en devient professeur émérite, occupant initialement la chaire d’histoire contemporaine. Krumeich est de même professeur associé à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), et vice-président fondateur du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande guerre de Péronne.

Cet intérêt puis cette spécialisation pour la Première guerre mondiale dérive d’un séjour à Paris, durant son adolescence, puis un passage plus long, d’un an, dans le cadre du séminaire de Lucien Goldmann à l’École pratique des hautes études (EPHE). Krumeich soutient par la suite, en 1975, une thèse relative aux armements français avant la Première guerre mondiale.

L’intérêt second de Krumeich pour Jeanne d’Arc date de sa thèse d’habilitation, rédigée entre 1980 et 1989, à l’Institut historique allemand (IHA) de Paris. De ce travail, il tire un livre en 1990, qui fait grand bruit en Allemagne, moindrement en France où, il est vrai, l’édition est saturée d’œuvres sur Jeanne. Une version française de ce livre paraît toutefois en France, trois ans plus tard : Jeanne d’Arc à travers l’Histoire.

Jeanne d’Arc en vérité est son deuxième travail sur la Pucelle. Initialement paru en allemand en 2006, il est traduit en français et passablement « augmenté » six ans plus tard. Tallandier vient de le rééditer, en mars dernier. Dans la préface, le médiéviste Philippe Contamine revient en détails sur l’abondance de la littérature concernant Jeanne, et surtout la fascination — voire la fantasmatisation — autour de son histoire.

► Une démarche strictement scientifique

Cela semble inutile de la préciser, mais pour Jeanne, la chose n’est pas évidente. À rebours de bien des écrits habituels sur Jeanne, Krumeich en reste à une démarche strictement historique et scientifique. Il poursuit en cela la méthode de travail qu’il avait déjà mis en place dans Jeanne d’Arc à travers l’Histoire. De manière générale, Jeanne d’Arc en vérité, tout en étant une biographie, est d’ailleurs avant tout un livre relatif à l’historiographie de la figure johannique.

L’ouvrage sort également du cadre biographique, en ce qu’il doit nécessairement présenter les événements antérieurs à la naissance de Jeanne, mais dans laquelle s’inscrit son existence : les « guerres anglaises » (c’est-à-dire la guerre de Cent ans), la guerre dynastique entre Bourguignons et Armagnacs, qui éclate en 1407 après l’assassinat de Louis Ier d’Orléans, frère du roi, et compte tenu du géopolitique hérité du traité de Troyes, notamment la situation ambiguë de double-monarchie, alors que la Pucelle n’est encore qu’une enfant.

Par-delà ces parenthèses — l’historiographie de Jeanne et le récit du contexte de la guerre de Cent ans — Jeanne d’Arc en vérité en reste à un récit chronologique de l’histoire de la Pucelle, à partir de sa jeunesse à Domrémy. Les sources sont longuement citées, parfois in extenso, souvent en vieux français.

Les deux ultimes chapitres sont essentiellement centrés sur les aspects historiographiques : tout d’abord l’historiographie immédiate, lors du procès de révision du jugement, entre 1450 et 1456, et au-delà, les lectures successives de la figure johannique, sous l’absolutisme, par les révolutionnaires, durant la Première guerre mondiale, voire ses récupérations politiques (par le Philippe Pétain et Charles de Gaulle, par l’extrême droite, etc.)

► La vie de Jeanne

Cette vie de Jeanne qui est l’essentiel du récit est celle, au début du XVe siècle, d’une adolescente d’origine paysanne, affirmant avoir reçu des visions de la part des saints Michel, Marguerite d’Antioche et Catherine d’Alexandrie. Dans celles-ci, lui sont révélées une mission : délivrer le royaume de France de l’occupation anglaise. Parvenant à rencontrer le roi de France Charles VII à Chinon en février 1429, elle le convainc de conduire des troupes contre les armées anglaises. Jeanne marque les esprits à la cour, car elle porte l’habit d’homme et une coupe en écuelle, elle aussi masculine.

Elle parvient donc à rencontrer Charles, malgré la petitesse de sa condition, et plus étonnant, bat les Anglais, qui, en mai, sont chassés d’Orléans, ville qu’ils avaient assiéger. Elle y rencontre Jean d’Orléans le Bâtard, avec qui elle combat par la suite.

Cette victoire à Orléans initie la seconde étape de l’épopée de Jeanne : elle persuade le roi de se faire sacrer à Reims, comme il est d’usage. Jeanne et ses hommes doivent pour cela chevaucher en territoire bourguignon, ce qui n’a rien d’évident. Il faut en effet rappeler que les Bourguignons sont alors alliés des Anglais contre le royaume de France (lequel prend le parti des Armagnacs). Cette alliance n’est pourtant pas systématique, leur départ d’Orléans avant le siège en portant preuve. De même, Charles essaie d’obtenir leurs faveurs, alors que Jeanne adopte une stratégie beaucoup plus frontale, refusant les trêves et considérant l’ennemi bourguignon à l’égal de l’ennemi anglais.

En parvenant à ce sacre en juillet, et à la suite d’autres victoires militaires (Patay, soumissions de Troyes et de Châlons, cités bourguignonnes), Jeanne et ses hommes réussissent à inverser le cours de la guerre de Cent ans. L’épopée johannique est toutefois entachée par les hésitations royales à reprendre Paris, à l’automne, et la capture de Jeanne à Compiègne, en 1430, par les Bourguignons. Les Bourguignons vendent alors Jeanne aux Anglais, pour dix mille livres.

Jugée après en procès en hérésie conduit par l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, elle est condamnée à être brûlée vive en 1431 à Rouen. Au reste, ce procès est entaché d’irrégularités manifestes. Cette procédure bâclée entraîne une révision, ordonnée par le pape Calixte III et approuvée à dessein par un Charles VII au faîte de son pouvoir — qui veut en tirer un profit évident — vingt ans après sa mort.

Entre temps, la Bourgogne se dissocie des ambitions anglaises, au bénéfice immédiat de Charles. Ce souffle d’air frais est le fait du traité d’Arras (1435) qui permet ensuite au royaume de France, désormais nanti d’une armée de métier, de caracoler jusqu’à la victoire finale, après la bataille de Castillon, dix-huit ans plus tard.

► Une dent dure contre les « mythographes »

Dans un épilogue consacré aux « mythographes », Krumeich écrit sur la tentation « des écrivains à sensation et des historiens amateurs » de déformer la réalité, en faisant de Jeanne une femme de sang royal, ou niant qu’elle ait été brûlée par les Anglais. En quelques paragraphes, l’auteur déconstruit ces mythes, non sans faire part d’un certain agacement, lorsqu’il critique par exemple L’Affaire Jeanne d’Arc et le documentaire d’Arte en dérivant. Lorànt Deutsch fait d’ailleurs de même dans son Métronome, l’Histoire de France au rythme du métro parisien, bien que n’étant pas mentionné ici.

Flanqué d’un petit cahier iconographique en couleur et de cartes en annexes (notamment concernant la progression de Jeanne et les opérations militaires à Orléans), l’ouvrage est par ailleurs nourri d’une bibliographie richement commentée.

— Gauthier BOUCHET

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