LIVRE DE LA SEMAINE — « Histoire de la monarchie de Juillet, 1830-1848 »


Notre livre de la semaine, Histoire de la monarchie de Juillet, 1830-1848, écrit sous le titre de La monarchie de Juillet, en 1921, par Sébastien Charléty, et réédité en 2018. Cet ouvrage s’intéresse à ce régime monarchique original, empruntant aux idées libérales de son temps.


Sébastien Charléty (1867-1945) est un historien français. Membre de l’Institut, de l’Académie des sciences morales et politiques, président de Commission supérieure des Archives nationales, il nous propose avec ce livre une étude magistrale consacrée à la monarchie de Juillet. Cette période de l’Histoire de France se situe entre 1830 et 1848, sous le règne de Louis-Philippe. Dans sa réédition de 2018, le livre est préfacé par Arnaud Teyssier, auquel nous devons, entre autres, une belle biographie dédiée à l’un des plus grands hommes d’État français : Armand du Plessis de Richelieu.

Dans cette remarquable préface, Teyssier raconte le parcours de Charléty et nous présente dans les grandes lignes l’objet de l’ouvrage. Il revient sur le contexte historique avec lequel Charléty doit composer son oeuvre, pour rappeler la dimension éminemment politique d’une telle publication. Cette dernière intervient en 1921, au moment même où la République paraît triomphante et durablement installée, quoique réellement affaiblie par la guerre mondiale.

Avec Charléty, nous constatons que le régime de Louis-Philippe subit de nombreuses critiques, plus de soixante-dix ans après sa fin. En effet, il symbolise alors, à tort ou à raison, le capitalisme triomphant et le pouvoir de l’argent. Cette vision prévaut encore de nos jours.

Louis-Philippe, comme le précisent très bien l’auteur et le préfacier, se trouve à la tête d’un pays divisé. Il entend « réconcilier les deux France, celle de l’Ancien Régime et de la Révolution », dans le but de donner naissance « à une société nouvelle, unie, apaisée, dédiée à la liberté et au progrès ».

Il demeure important de connaître les motivations des hommes qui participèrent à ce grand projet politique. Teyssier énonce à ce titre que :

« Ceux qui ont fait la révolution de 1830 sont d’abord des bourgeois, des intellectuels libéraux, sincèrement attachés aux acquis de 1789, mais nullement désireux de susciter à nouveau les désordres et la violence des années qui ont accompagné et suivi la première chute de la monarchie en 1792. »

La justification de leur action repose sur l’idée suivante : « Ils estiment que Charles X et la politique de son dernier ministère ont sorti les Bourbons de la légalité qu’ils avaient eux-mêmes acceptée et définie. »

Nous voyons ici la différence essentielle entre institution et constitution, légitimisme et orléanisme. Des contemporains du Roi bourgeois, tel Heinrich Heine, considéré comme « le dernier poète du romantisme », écrivent à cet effet que Louis-Philippe retient les enseignements de la révolution de 1789. L’écrivain allemand parle même d’« un apprentissage révolutionnaire » et d’un « jésuitisme politique dans lequel les jacobins ont parfois surpassé les disciples de Loyola ». Heine écrit que Louis-Philippe dispose « d’un trésor de dissimulation héréditaire, légué par ses ancêtres les rois de France, qui furent toujours plutôt renards que lions ». Nous frôlons ici le catéchisme républicain et anti-monarchiste. Toutefois, nous citons ce propos pour montrer comment le fondateur de la dynastie des Orléans était alors perçu.

Dans un souci d’exhaustivité, précisons que celui-ci est aussi regardé comme « un Bourbon acceptable, le fils de [Philippe-]Égalité, le soldat de Jemmapes, le seul prince émigré qui n’eût pas combattu sa patrie1 ». Comme l’explique à plusieurs reprises Charléty, cette double nature présente le désavantage d’être sa force, mais également sa plus grande faiblesse. Louis-Philippe est « révolutionnaire par sa jeunesse et l’ascendance encombrante de son père, Philippe-Egalité, et royaliste par son caractère et sa filiation ».

Ce pesant héritage « ne cessera de le miner » et provoquera en fin de compte sa perte. Effectivement, Charléty pose le constat suivant :

« En 1848, pour éviter de verser un peu de sang, il sacrifiera son régime à une jeune république qui se révélera vite beaucoup plus répressive et plus fragile encore. »

A l’image de Louis XVI et de Charles X, Louis-Philippe répugne à faire tirer sur la foule au moment critique. Pourtant, il convient parfois d’user de la manière forte pour que le peuple rentre dans le rang.

En 1830, nombreux sont les Français qui ne désirent plus voir Charles X au pouvoir. D’aucuns lui reprochent de ne pas respecter ses engagements, tout en faisant prendre au régime un virage autoritaire. Certains veulent la République, d’autres espèrent en Napoléon II ou lorgnent vers Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans. Alors que son pouvoir vacille, Louis-Philippe ignore tout du sort qui l’attend, il déclare : « notre cause est celle de Dieu, et la Providence éprouve ses serviteurs ».

La fin de son pouvoir est déjà consommée2. Les tractations s’engagent. Le National3 titre habilement : « il nous faut cette république déguisée sous une monarchie. » Ils l’ont par la volonté de Louis-Philippe, car tel est son bon plaisir.

La présentation des événements se veut limpide et pédagogique. Charléty décrit donc parfaitement les derniers soubresauts du régime de Charles X et l’avènement de son cousin, premier prince du sang sous la Restauration. L’auteur démontre, avec un sens inné de la formule, la capacité extraordinaire à manoeuvrer du duc d’Orléans au milieu des différentes factions (armées, gouvernement, députés, républicains, bonapartistes, extrême gauche, etc.) désirant toutes influer sur le cours des événements.

Avant de gravir la dernière marche du pouvoir, Louis-Philippe doit se rendre à l’Hôtel de Ville de Paris ou le très libéral La Fayette l’attend. Charléty raconte :

« Le duc entre dans la grande salle. C’est un tumulte. Il agite la main. Il parle. On se tait. Il prend La Fayette par le bras, l’entraîne à une fenêtre. Tous deux, enveloppés d’un drapeau tricolore, s’embrassent. La foule crie : « Vive La Fayette ! Vive le Duc d’Orléans ! » La partie est gagnée. Le baiser républicain de La Fayette a fait un roi, écrira Chateaubriand. »

Dès le départ, la monarchie de Juillet n’entend pas s’inscrire dans la tradition et la légitimité. A ce titre, il convient d’opérer une césure avec le passé :

« Pour marquer qu’il s’agissait d’une royauté nouvelle, sans liens de filiation avec l’ancienne, le nouveau roi s’appellerait non pas Philippe VII, mais Louis-Philippe Ier ; il aurait le titre de roi des Français, et non de roi de France par la grâce de Dieu. »

Charléty déclare que « la lutte commencée en 1815 entre les Bourbons et le parti libéral se terminait par la défaite des Bourbons ». De notre point de vue, la guerre avait été déclarée bien avant la chute de Napoléon Ier, mais cette idée relève d’un autre sujet.

L’auteur prend le soin d’analyser Louis-Philippe, ses idées et ses méthodes. Nous pouvons lire :

« Il semble bien que les idées politiques de Louis-Philippe aient toujours été d’une grande simplicité. Gouverner, c’est vivre suivant les circonstances. La nécessite de vivre peut lui imposer des façons d’agir contraires à ses préférences, elle ne lui dicte jamais de principes, c’est un politique, non un doctrinaire. Sur les grandes questions : suffrage, éducation nationale, rapports entre l’Église et l’État, sort des classes laborieuses, il ne choisit ou n’accepte une solution que pour des raisons d’ordre public et non de vérité ou de justice ; il répugne probablement aux grands sujets sûrement aux solutions hardies ; il est pour le juste milieu, il est capable d’expédients, non de choix résolus et de foi. »

Ce passage dévoile parfaitement les causes conduisant à l’échec final de la monarchie orléaniste.

Charléty poursuit son oeuvre en expliquant, par le menu, tous les aspects de cette monarchie républicaine ou de cette république monarchique : les différents ministériats, les hommes forts du règne, les opposants, la situation nationale et internationale, les succès, un certain essor économique, les échecs, notamment l’incompréhension des élites pour les aspirations de l’ensemble de la société française. L’étude se montre complète, fouillée et sérieuse. Effectivement, elle repose sur une documentation riche et variée. Elle dresse un portrait objectif d’un régime long de dix-huit ans, dans une France difficilement saisissable, parce que prise de passions contraires à la fois stimulantes et étouffantes.

Cet excellent ouvrage nous plonge au cœur de cette époque, qui vit finalement le drapeau tricolore remplacer le drapeau blanc, la monarchie constitutionnelle se substituer à la monarchie légitime. Ironie de l’Histoire, ce système était né sur les barricades de 1830, il se termine à cause des barricades de 1848. Ces dernières contribuent à l’installation de la Deuxième République. Louis-Philippe et ses différents gouvernements restent souvent incompris. Cependant, ce livre permet de mieux les connaître en cernant les ressorts profonds de cette monarchie de Juillet, souvent critiquée, mais en réalité fort méconnue, car peu étudiée.

— Franck ABED

  • CHARLÉTY (Sébastien). Histoire de la monarchie de Juillet, 1830-1848. Paris, Perrin, 575 p., 2018

1 — Louis-Philippe d’Orléans (1773-1850), duc de Chartres, âgé à l’époque de dix-neuf ans et connu comme le « général Égalité », ainsi que son frère cadet, Antoine d’Orléans (1775-1807), duc de Montpensier, qui venait d’être promu au grade d’adjudant général, ont participé à cette bataille du côté des révolutionnaires. Louis-Philippe, futur roi des Français s’était distingué en commandant l’aile droite. Toute sa vie, il fut fier d’avoir participé à cette victoire décisive, mais le spectacle du sang versé et de la tuerie lui inspira une profonde aversion pour la guerre.

2 — Lire Louis XIX, duc d’Angoulême, par François de Coustin, ou notre note de lecture.

3 — Le National est un quotidien français fondé en janvier 1830 par Adolphe Thiers, Armand Carrel, François-Auguste Mignet et le libraire-éditeur Auguste Sautelet qui en est le premier gérant. Son objectif est de combattre le gouvernement de Charles X, afin d’établir un régime parlementaire.

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