À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Metternich », par Luigi Mascilli Migliorni, ainsi que quelques extraits marquants.
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► Précisions sur l’auteur
L’auteur, Luigi Mascilli Migliorni, est un historien italien, spécialiste du Premier Empire. Né à Naples, en 1952, il enseigne à l’Università degli studi di Napoli L’Orientale (l’Université l’Orientale de Naples). Son intérêt pour la période napoléonienne l’amène durant sa carrière à diriger la Rivista italiana di studi napoleonici (Revue italienne des études napoléoniennes). Mais au-delà de sa spécialisation initiale, il est également bon connaisseur de la politique et de l’histoire italiennes, d’où sa contribution au livre Storie d’Italia (Histoire de l’Italie).
Dans cette biographie de Klemens von Metternich (1773-1859), grosse somme de plus de quatre cents pages, illustrée en couverture d’une peinture de l’Autrichien Josef Danhauser, Luigi Migliorni livre le récit de la vie d’un homme dont l’existence est consacrée au maintien de l’Ancien Régime en Europe, durant le siècle des révolutions. Jeune adulte durant la Révolution française, Metternich est aux prises avec les grands bouleversements sociaux, politiques et culturels induits par ces dix années particulières, véritable accélération de l’histoire européenne. Au-delà du témoignage de Metternich sur la Révolution et ses suites, par ses écrits, le livre revient aussi sur une obsession de l’Autrichien : sa volonté d’un équilibre des puissances en Europe, face à la perspective des hégémonies française puis prussienne.
Avant d’entrer dans le strict examen biographique de la vie de Metternich, l’auteur dresse un portrait détaillé du monde dans lequel évolue le futur chancelier, celui de la mosaïque de centaines de petites principautés constitutives du Saint-Empire romain germanique. Ainsi, comme le rappelle Migliorni en page 13, s’il n’y a pas encore d’État allemand ou autrichien unifié à cette époque, il existe dans l’esprit de Metternich, comme de beaucoup d’élites éclairées de son époque, un fort sentiment de germanité.
Le Saint-Empire est alors une réalité complexe, faute de principe d’unification, et « il conviendrait d’envisager […] la tradition du Saint-Empire romain […] sous l’aspect des particularismes féodaux auxquels il devrait, d’une certaine manière, son origine ». Ce principe unificateur vient ultérieurement de la Prusse, vainqueur de l’Autriche et de la France, et initiatrice en 1871 de l’Empire allemand.
► Jeunesse et vie familiale
Né à Coblence le 15 mai 1773, Metternich est le filleul de l’archevêque-électeur de Saxe, lui-même oncle de Louis XVI. Il présente donc une parenté éloignée avec le roi de France.
Étudiant en droit à l’Université de Strasbourg, en compagnie de son frère, il arrive dans la ville quelques mois avant la convocation des États généraux. Il y rencontre notamment Benjamin Constant. Depuis la capitale alsacienne, Metternich puise une observation attentive des débuts de la Révolution. On perçoit dès cette époque, dans ses écrits, le mépris que lui inspirent les révolutionnaires français, et la contestation des monarchies en général. D’autres de ses contemporains l’expriment, ainsi le littérateur britannique Arthur Young, lors de la mise à sac de l’Hôtel de ville de Strasbourg, fin juillet 1789, évoquant une « multitude inintelligente qui s’[intitule] le peuple, […] populace en colère » (témoignage cité en page 19).
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Le 27 septembre 1795, épousant à Vienne Marie-Eléonore von Kaunitz-Rietberg, Klemens von Metternich se lie à une puissance famille princière, celle du chancelier autrichien. Cette union est célébrée à Austerlitz, dix ans avant la célèbre bataille opposant les Français à une coalition austro-russe, ce qui ne manque pas d’être médité par la suite par Metternich, et souligné par ses biographes. Le mariage semble être de convenance, mais il lui permet de s’élever nettement dans l’aristocratie. Veuf en 1825, Metternich épouse une femme de petite noblesse, alors qu’il est déjà chancelier.
► Ambassadeur à Berlin, Saint-Pétersbourg, puis à Paris
Nommé ambassadeur de l’Autriche à Berlin en 1803, il est ensuite envoyé à Saint-Pétersbourg (alors capitale russe) sur demande de Napoléon Ier, puis à Paris à partir de 1806. Il côtoie alors directement l’empereur.
Au contact de Napoléon, dont il estime initialement qu’il peut être un allié de l’Autriche, il se désillusionne rapidement sur la capacité de l’Empire à incarner un régime stable. Dès 1808, il adresse des rapports affirmant que le pouvoir napoléonien est chancelant.
En parallèle, les relations austro-françaises se dégradent, et l’Autriche déclare la guerre à la France. Les Autrichiens sont battus à Wagram, le 8 octobre 1809. En tant que diplomate, Metternich prend alors part à l’humiliante signature du traité de Schönbrunn, et quitte Paris.
Proposant une médiation à la veille de la campagne d’Allemagne, ce rôle lui est toutefois refusé par Napoléon. L’Autriche met alors deux cents mille hommes au combat contre l’empereur, au sein d’une nouvelle coalition (la sixième). Finalement, les Français sont vaincus en plein Paris, le 31 mars 1814.
► L’homme du congrès, puis de la Sainte-Alliance
Napoléon étant défait, l’Autriche accepte la proposition britannique d’une restauration des Bourbons, par l’entremise de Louis XVIII. La carte politique de l’Europe, et ses nouveaux équilibres, sont alors redéfinis de fond en comble, durant le congrès de Vienne, en 1815. C’est clairement la partie centrale du livre, qui y consacre un chapitre central d’une vingtaine de pages, sobrement intitulé « Le Congrès ». Ce chapitre revient sur les nombreux témoignages de Metternich, notamment ceux décrivant les Français, en qui, péjorativement, il voit des hommes avec « de gros pantalons bleus, une petite veste bleue ou de toute couleur, de vilains mouchoirs » (lire page 42), estimant que l’habit préjuge du tempérament politique.
Paradoxalement modéré vis-à-vis de l’esprit de revanche de certains membres des anciennes coalitions anti-napoléoniennes, il vise en parallèle du rétablissement d’une France monarchique et stable que l’Autriche reprenne pied en Italie. De lui, Charles-Maurice de Talleyrand, ministre français des Affaires étrangères, fait le procès d’un homme « frivole, vague […] et faux ».
Après le congrès, Metternich s’attache au vaste chantier de la Sainte-Alliance, qui associe l’Autriche à la Prusse et à la Russie. Celle-ci garantit une stabilité de longue durée à l’Europe, qui ne sera vraiment remise en cause que plusieurs décennies plus tard, lors de la guerre austro-prussienne. Et au final, la politique de Metternich à l’égard de la France marche partiellement, puisque Louis XVIII demeure au pouvoir, et participe même au rétablissement de Ferdinand VII sur le trône d’Espagne, à la suite des engagements du congrès de Vérone (1822).
Devenu chancelier d’Autriche après son départ de Paris, Metternich promeut une politique absolutiste et décentralise l’administration. Surtout, il encourage le caractère héréditaire de l’Empire d’Autriche, en dépit de l’incapacité de l’aîné de François Ier, l’archiduc Ferdinand, lequel souffre d’épilepsie. Extérieurement, il imprime aussi sa marque, par exemple en termes de liberté d’expression, restreignant le droit de la presse germanique et contrôlant ses universités, par les décrets de Karlsbad (1819).
Metternich a également fort à faire face à la Prusse, qui grossit en puissance et en influence, à mesure d’ailleurs d’une forte expansion démographique : 10 millions d’habitants lors du congrès de Vienne, mais le double un demi-siècle plus tard. Il y voit à juste titre le probable organisateur d’un futur État allemand, bien que, pour l’instant, rappelle Migliorni (page 61), « l’Allemagne [soit] pour Metternich une forme […] politique et juridique caractérisés par la coprésence de formes politiques différentes », évoquant la transition entre le Saint-Empire — brisé par Napoléon en 1806, au terme du traité de Presbourg — et l’Empire allemand.
► Treize années de toute-puissance
La mort de François, en 1835, permet de fait à Metternich d’obtenir tous les pouvoirs, tant Ferdinand incarne faiblement le pouvoir impérial. Le chancelier accède alors à sa réputation célèbre de « gendarme de l’Europe », tant il est l’homme fort du continent. Toutefois, paradoxalement, la faiblesse initiale des institutions autrichiennes fait que Metternich ne dirige qu’un cabinet restreint, et non pas un véritable conseil des ministres.
Raide vis-à-vis des nationalités intégrées à l’Empire autrichien, par orgueil aristocratique, il sait à la fois convoquer les diètes provinciales mais bloquer les réformes que celles-ci demandent, s’il les juge trop avancées. C’est le cas, à partir de 1832, vis-à-vis de la Diète hongroise. Et habilement, le chancelier joue telle nationalité contre une autre, tâchant de diviser pour mieux régner, par procuration.
Metternich reste encore treize ans en fonction, jusqu’à ce que finalement l’opposition devienne trop forte et, dans le cadre du Printemps des peuples qui touche en même temps la France de Louis-Philippe, ne renverse l’Empire… et Metternich. Des mouvements révolutionnaires apparaissent en effet en Bohême-Moravie, en Croatie-Slavonie et en Galicie. À Vienne, le petit peuple se soulève contre l’aristocratie.
► Chassé par le Printemps des peuples
Metternich démissionne le 13 mars 1848. Il doit alors fuir piteusement — dans une corbeille à linge — puis s’exile quelques mois au Royaume-Uni, avant de partir pour la Belgique. Autorisé à revenir par le nouveau gouvernement autrichien, il se tient scrupuleusement à l’écart des affaires publiques.
Il meurt à Vienne, en 1859. Sept années plus tard, l’équilibre européen dont il est l’initiateur, par le congrès de Vienne et la Sainte-Alliance, s’érode brutalement : l’Autriche et la Prusse entrent en guerre, et les Prussiens s’affirment comme le nouveau peuple fort en Europe. Dans le même temps, la France connaît un nouveau Bonaparte (Napoléon III) et la Russie agit unilatéralement en Pologne, tandis que, un peu partout, s’affirme le principe des nationalités, tant combattu par l’ancien chancelier.
La carrière de Metternich, diplomate et ministre d’un tout nouvel Etat issu du Saint-Empire, montre une longévité exceptionnelle pour l’époque. Ses quasiment quarante années à la Chancellerie d’Autriche le voient progressivement devenir tout-puissant, surtout à partir de l’accession au trône de Ferdinand, empereur malade. Cela n’était pas écrit pour ce noble d’extraction moyenne, s’il n’y avait eu son mariage heureux et le contexte des guerres napoléoniennes.
— Gauthier BOUCHET