NOTE — Les élections législatives françaises de 1871


À la suite de notre émission Élection marquante, retrouvez dès à présent notre note historique sur les législatives françaises de 1871. Cet événement fait immédiatement suite à la chute du Second Empire et la proclamation de la Troisième République


► La défaite et l’occupation

Aujourd’hui méconnues, les élections législatives de 1871 sont pourtant d’une exceptionnelle portée historique. Les conditions du scrutin, l’assemblée élue et le déroulement de la législature ouvre le troisième chapitre de la République en France, bien que les représentants sortis des urnes y soient en majorité réfractaire. Tout le mystère de cette Assemblée nationale qui siège à Bordeaux puis à Versailles réside dans ce paradoxe.

Le 1er septembre 1870, le désastre de Sedan sonne le glas du Second Empire. Incapable d’endiguer la puissance des armées prussienne, la France se retrouve en quelques heures privé d’empereur, prisonnier, et de gouvernement. Le 4 septembre, un gouvernement provisoire se forme néanmoins à Paris sous l’égide de Léon Gambetta (1838-1882), n’incluant que des unités républicaines. Il imprime au pays sa volonté de continuer la lutte, soutenu çà et là par la noblesse légitimisme composée pour majorité de vétérans des luttes pontificales.

En parallèle de ce zèle militaire, la République, dont le nouveau gouvernement entend doter la France, nécessite la convocation imminente des électeurs. Plusieurs fois repoussées au cours de l’automne et de l’hiver, elles sont finalement fixées pour le 8 février 1871.

Malgré l’extrême brièveté de la campagne électorale, les enjeux sont d’une grande importance. Le vœu profond de la patrie est-il de continuer la guerre ou de la clore ? La République est-elle vraiment le régime que le pays désire ? Qui pourra, à la fois, laver l’affront de la défaite et amener la France sur la voie d’une stabilité politique qu’elle n’a plus connue depuis le début de la révolution ?

Le gouvernent provisoire cherche également dans ces élections une validation de ses choix belliqueux. Il entend profiter à la fois de l’absence d’un nombre non-négligeable de notables locaux, majoritairement monarchistes et partis au front mais surtout du scrutin de liste départemental. Les électeurs étant convoqués aux chefs-lieux de cantons, on espère que les masses rurales jugées conservatrices ne prennent pas part au vote.

► Revue d’effectifs

Le principal écueil du scrutin de liste est ce qu’il ne reproduit pas en une majorité forte une tendance nationale claire. C’est le cas en 1871. Le premier facteur d’émiettement attrait à la question générale qui a été au cœur de la campagne : celle du futur de la guerre contre le nouvel Empire allemand. Les droites se sont coalisées pour proposer la paix. Partant divisées, les gauches souhaitaient poursuivre le combat. Cependant, malgré les apparences d’unicité du bloc pacifiste, les composantes disparates de ce dernier vont très tôt poser problème.

En effet, les orléanistes qui disposent de la majorité relative sont incapables de gouverner seuls. Les bonapartistes sont laminés, et ne sont pas plus d’une vingtaine. Les légitimistes obtiennent de très bons résultats.


Le pays vote pour la paix,  mais ne fait pas de choix catégorique sur la forme du régime. Et c’est ici un point nodal. Car le deuxième facteur d’émiettement est lié aux vieilles querelles que se livrent les familles de la droite depuis la fin du XVIIIe siècle. En effet, considérer ce bloc comme des monarchistes aux buts similaires est une vue de l’esprit. Le centre-droit désire une monarchie libérale, imitée du modèle anglais et personnifiée par le petit-fils de Louis-Philippe.

Le gros des troupes légitimistes lui préfère Henri d’Artois (1820-1883), comte de Chambord, petit-fils de Charles X (1757-1836), à leurs yeux seul légitime. À leur gauche, quarante légitimistes libéraux souhaitent la fusion des deux branches. Sur leur flanc droit, plus d’une soixantaine d’intransigeants vont se faire les porte-voix de la rigidité doctrinale du comte, notamment sur la fameuse question du drapeau.

Le troisième obstacle à l’unité de la majorité est qu’elle doit compter sur près de quatre-vingt-dix représentants d’un centre-gauche qui n’a pas encore choisi entre la monarchie (laquelle serait de toute façon libérale) ou la république. Très proche des orléanistes, ces libéraux n’ont en revanche rien à voir avec les légitimistes. Sociologiquement, ce sont en grande partie des bourgeois qui agissent politiquement que dans leurs intérêts. Éléments indispensables au bloc des droites, ces élus du centre-gauche seront cependant proches des républicains modérés et feront payer cher leur fidélités aux gouvernements conservateurs.

► Les espoirs déçus

L’une des illustrations de la complexité de cette assemblée est qu’en cinq mois, elle met à sa tête un républicain modéré (Jules Grévy) et à la fonction suprême de « chef exécutif de la République », élu du centre-gauche (Adolphe Thiers). Les élections complémentaires du 2 juillet 1871 n’arrangent rien. Convoqués pour pourvoir les sièges laissés vacants par les élections multiples de février, les électeurs imposent à l’Assemblée une inflexion républicaine indéniable. Sur cent quatorze élus, quatre vingt dix-neuf sont membres des trois nuances de la gauche.

Gambetta, représentant démissionnaire du Bas-Rhin en mai, est élu triomphalement dans le département de la Seine. Naturellement, la majorité est déstabilisée. L’heure est au compromis, sur fond de querelle familiale.

Pour comprendre l’histoire politique de ce début de Troisième République, il faut s’intéresser aux gouvernements et à leur composition. De 1871 à 1875, les Présidents du Conseil sont tous orléanistes. La figure principale est Albert, duc de Broglie qui présida de 1873 à 1874. Néanmoins, les ministres n’ont pas la même couleur politique et chaque remaniement nécessite une savante répartition des portes-feuilles afin de ne pas froisser les composants de la majorité. Ce jeu ne sera pas sans conséquences.

La ligne consensuelle des gouvernements de centre-droit va vite mécontenter les légitimistes qui s’impatiente de voir la restauration repousser aux calendes grecques. Les orléanistes imposent au comte de Chambord la reconnaissance du drapeau tricolore et de la souveraineté nationale. L’héritier refuse et le fait savoir par une série de manifestes publiés dans L’Union.

Immédiatement, les partisans de la branche cadette prennent ces délations pour une abdication. Les Chevau-Légers, à l’extrême droite de l’Assemblée, s’insurgent, en claquant la porte du Gouvernement. Cette fracture dans la maison de Bourbon annonce l’éclatement de la majorité qui ne tient que par la résistance Patrice de Mac Mahon (1808-1893) à demeurer président de la République.

► Vers la « République des républicains »

La fin de la Législature voit la montée en puissance des républicains, notamment radicaux. Élections après élections, l’idée républicaine s’enracine. Les légitimistes les plus intransigeants, se jugeant inutiles après que l’espoir de restauration ait brûlé son dernier feu, quitte progressivement le combat parlementaire. De plus, l’élection en Corse d’Eugène Rouher (1814-1884) marque le départ de la résurgence d’un solide groupe bonapartiste à l’assemblée, à partir de 1872 : l’Appel au peuple.

La mouvance conservatrice, lâchée par le centre-gauche, est incapable de s’empêcher le votes de lois constitutionnelles (1875) consacrant la forme républicaine de l’État. En ordre dispersé à la veille des élections législatives de 1876, au scrutin majoritaire, les droites sont balayées (cent quarante députés sur cinq cent trente-trois).

— Benjamin RATICHAUX


BIBLIOGRAPHIE

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