À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Le despotisme éclairé », par François Bluche, ainsi que quelques extraits marquants.
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► Précisions sur l’auteur
L’auteur, François Bluche (1925-2018), est une historien français moderniste, spécialiste de l’Ancien Régime et, en particulier, du roi Louis XIV. L’on connaît d’ailleurs principalement de lui une monumentale biographie sur le Roi-Soleil, de plus d’un millier de pages, sobrement intitulée Louis XIV.
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Universitaire enseignant à Besançon à partir de 1957, Bluche évolue beaucoup dans ses idées, tout au long de son existence. Né catholique, il passe par une longue phase d’agnosticisme, avant de se convertir au protestantisme, au soir de sa vie. Politiquement, il se déplace aussi : du communisme — il intègre les Franc-tireurs et partisans (FTP) en 1942, puis le journal du PCF des Alpes-Maritimes, Rouge-Midi — jusqu’à la droite.
► Définition du despotisme éclairé
Le despotisme éclairé peut être défini comme une doctrine politique associant progressisme et autorité. Acception nouvelle du despotisme issu des idées nouvelle du siècle des Lumières, elle est principalement défendue par les philosophes (Alembert, Voltaire) et les tenants de la physiocratie, pour qui tout pouvoir réside dans la terre, et n’existe qu’une seule classe productive, celle des paysans.
Comme le révèle cet ouvrage de Bluche, à travers des chapitres relatifs à chacune des grandes figures de ce mouvement, le despotisme éclairé, dont l’idée apparaît dans les années 1670 et qui se manifeste à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, est notamment incarné par les figures de Catherine II de Russie, Frédéric II le Grand, Joseph II et Léopold II d’Autriche, Marie-Thérèse, Maximilien III. Ce phénomène politique est alors qualifié de « nouvelle doctrine », quelque peu en écho aux « idées nouvelles » des philosophes et de L’Encyclopédie.
Dans le cadre du despotisme éclairé, le pouvoir est éclairé par des monarques (rois ou empereurs) qui demeurent de droit divin, mais dont les choix politiques apparaissent comme guidés par la raison, et qui se présentent comme premiers serviteurs de l’État. À ce sujet, l’historien belge Henri Pirenne (1862-1935) voit dans le despotisme éclairé « la rationalisation de l’État« . L’action des « despotes éclairés » est généralement inspirée par des philosophes qu’ils font venir à leur cour et entretiennent dans le cadre d’un mécénat. Elle est, de même, nettement réformiste.
Pour autant, le paradoxe du despotisme éclairé réside dans la subsistance des structures sociopolitiques des sociétés d’origine : arbitraire de l’absolutisme, séparation nette des classes sociales, avec une prédominance de la noblesse terrienne, rupture entre les villes et les campagnes, etc. Bluche rappelle de toute manière à l’envi la pluralité déconcertante de définitions du despotisme éclairé, vu par les encyclopédistes ou lesdits « despotes » eux-mêmes (page 10). Ces sociétés sont, de même, généralement martiales voire expansionnistes, à l’instar du royaume de Prusse.
► La Prusse des Hohenzollern
C’est ce même royaume dont traite le premier chapitre de l’ouvrage. L’on y découvre une société originale, organisée autour de l’armée et de l’idée d’une expansion territoriale continuelle. Sa grande figure successives, membre de la Maison Hohenzollern, est d’abord Frédéric-Guillaume Ier.
L’auteur ne manque jamais de rappeler le surnom martial du « Roi-sergent ». Lui succède son fils, Frédéric II le Grand (1712-1786). Ces deux rois concentrent en eux avec habileté et de manière inédite l’exercice d’un gouvernement autoritaire et une grande ouverture d’esprit.
Cette ouverture d’esprit est notamment celle d’une grande tolérance religieuse, rare pour l’époque. Bluche rappelle ainsi en page 55 les libéralités accordées par Frédéric aux juifs, le roi faisant savoir qu’au-delà de leur libre pratique religieuse, ils « ne [doivent] être [gênés] en aucune façon dans [leurs] actes et [leur] commerce. » Cette tolérance est identique vis-à-vis des protestants, ayant de plus cette avantage de peupler la Prusse de nouvelles élites intellectuelles et économiques, pourchassées de France notamment, depuis la révocation de l’Édit de Nantes décidée par Louis XIV, en 1685.
► L’Autriche du joséphisme
L’autre grande puissance traitée par Bluche est l’archiduché d’Autriche, dirigé par les Habsbourg. Ses grandes figures sont, successivement, Charles III de Habsbourg (1685-1740), Charles de Bavière (1697-1745), François Ier de Habsbourg (1708-1765), et Joseph II (1741-1790).
Le XVIIIe siècle autrichien commence par une querelle de succession impliquant de nombreuses dynasties européennes. Cette période trouble ne s’achève vraiment qu’avec la montée sur le trône, en 1765, de Joseph II. Celui-ci s’affirme alors comme un souverain réformiste et moderne, archétype du despotisme éclairé. Ses réformes, par leur raideur, sont toutefois incomprises par nombre de ses administrés.
Au-delà de ses choix de politique intérieure, Joseph surprend aussi par sa politique étrangère. L’Autriche du joséphisme est en effet celle de l’alliance avec la Prusse et la Russie, contre la Pologne, qu’il fait envahir et annexe en partie (1772). Ses appétits territoriaux vis-à-vis de la Bavière manquent par ailleurs de déclencher peu après une guerre à l’échelle européenne.
Ses velléités sont par ailleurs connues vis-à-vis d’autres puissances européennes : l’Empire ottoman, qu’il veut affaiblir, en confirmant son alliance avec la Russie ; la France, dont il veut influencer la politique extérieure par l’entremise de sa sœur, Marie-Antoinette (1755-1793).
Ce sont là les deux principaux acteurs de ce despotisme éclairé dont l’auteur rappelle que, compte tenu de la force de l’absolutisme, il ne touche pas la France. Bluche évoque également à la marge le despotisme éclairé au Portugal ou dans les États baltes. Mais ce sont véritablement Joseph II et Frédéric II qui, par leurs politiques respectives, illustrent la paradoxe de ce concept.
— Gauthier BOUCHET