NOTE — Le long processus d’annexion de l’Alsace par la France

À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Histoire du rattachement de l’Alsace à la France », par Jeannine Siat, ainsi que quelques extraits marquants.


► Le processus d’annexion de l’Alsace à la France

En 1648, l’Alsace continue de panser les plaies que la guerre de Trente ans avait ouvertes. Les chiffres présentés par Jeannine Siat relatifs à l’évêché de Strasbourg sont éloquents : partout la population décroît et la famine s’installe. Les passages successifs des Suédois, des Impériaux et des Français livrent la province aux appétits des militaires : c’est Ernst von Mansfeld (1580-1626), puis Bernard de Saxe-Weimar (1604-1639), généraux suédois, puis le comte d’Harcourt, obligé du cardinal de Mazarin.

L’année 1648 voit se clore ces va-et-viens dévastateurs et fait gagner le droit en Alsace en la donnant pour partie à la Couronne de France. Les négociations entre Impériaux et Français avait débuté sept ans plus tôt. Dans la ville rhénane de Münster, le sort de l’Alsace est jeté.

► La complexité juridique de l’Alsace en 1648

L’Alsace porte alors les stigmates du passé féodal qui, dans le Saint-Empire, a conservé une certaine réalité. Si le sud de la province relève seul de l’archiduc d’Autriche, le reste n’est pas aussi homogène. Il y a d’abord ces dix cités alliées (Colmar, Haguenau, Sélestat pour les principales), jalouses de leurs autonomies et jouissant du droit de siège à la Diète d’Empire. De cet avantage profite aussi la république aristocratique de Strasbourg, ville libre qui possède le seul point de passage sur le Rhin de la région. L’archevêque de Strasbourg, réfugié à Saverne, administre les territoires de Molsheim, Schirmeck, Rouffach et Thann. Enfin, un tiers de la Basse-Alsace est sous la coupe d’une grande diversité de princes plus ou moins modestes.

La gestion politique d’un tel espace nécessite de la part de l’Empereur depuis des siècles — et spécialement depuis le développement de la Réforme — une grande dextérité. La puissante république de Strasbourg est le champion du protestantisme alsacien et concurrence les volontés des princes d’Autriche dont le Conseil se tient à Ensisheim, au Sud de Colmar.

Il n’y donc pas d’unité politique de l’Alsace au milieu du XVIIe siècle. Cette dernière se présente aux Français comme une grande mosaïque institutionnelle et religieuse dont certaines composantes, abandonnée par l’Empire, ont sollicité l’aide française contre les Suédois (1634 dans le cas de Colmar).

► Les équivoques du traité de Westphalie

Le règlement du statut de l’Alsace occupe une grande partie des délibérations car elle soulève un grand nombre d’interrogation et de controverses juridiques du fait des statuts multiples de ses principautés. Et pour cause, les territoires qui seraient cédés à la France recouvrerait-ils leur anciens privilèges et notamment l’immédiateté impériale.

La question se pose pour la Décapole et le reste de la Basse-Alsace que l’Empire cède à Louis XIV (1638-1715) : ce dernier, par la conservation de ce droit, ne chercherait-il pas à s’ingénier dans les affaires de l’Empire et en chambouler l’équilibre ? A contrario, rompre cette immédiateté couperait définitivement ces territoires de l’Empire.

Afin de ne pas résoudre cette tension, le traité de Münster d’octobre 1648 reste opaque et sujet à interprétation. L’un des diplomates germaniques, le pragmatique Volmar, répond que « c’est la force qui tranchera ». Preuve de la précarité de la situation, Louis XIV ne prend pas pour lui le titre de Préfet des dix villes. Il le délègue au duc de Mazarin, neveu du cardinal.

Concernant la Haute-Alsace, l’intégralité des territoires héréditaires des Habsbourg est transféré sous souveraineté royale, tout comme le Brisgau, étendue sur la rive est du Rhin englobant les cités de Fribourg et Breisach (comprise dans l’actuel Bade-Wurtemberg).

En tout état de cause, l’imbroglio ne pouvait persister. Malgré la confirmation des dispositions du traité de Münster lors de la paix de Nimègue (concluant la guerre de Hollande, 1679), il faut le zèle unificateur de la France pour régler la querelle.

► La prise en possession de l’Alsace par la France

On aurait tort de penser qu’une fois les traités signés, les principautés alsaciennes reconnurent sans contestation l’autorité de Louis XIV. Cette insubordination conjuguée avec la mésentente entre l’intendant et le gouverneur militaire sur place conduit les Français à raidir leur politique vis-à-vis de l’Alsace.

Ce durcissement se traduit dès 1673 par le transfert de l’administration de la province du ministère des Affaires étrangères à celui de la Guerre, lequel est dirigé par François Le Tellier de Louvois. Par la force, ce dernier obtient, d’une part, la soumission des villes de la Décapole récalcitrantes, au premier rang desquelles Colmar.

La cité, profitant des flottements français liés à la guerre de Hollande se rebelle. En 1679, le nouveau gouverneur, Joseph de Montclar et l’intendant La Grange somme la cité de se soumettre. Pressé par sa population catholique, Colmar se soumet.

D’autre part, Le Tellier de Louvois entend mettre fin au flou juridique qui entoure la noblesse de Basse-Alsace et obtenir d’eux un serment de fer à la personne de Louis XIV. Le château de Niedernai (localité voisine d’Obernai) voit l’intendant La Grange recevoir cet hommage pour le roi le 12 mai 1681.

1681 coïncide surtout avec l’annexion de Strasbourg. Cernée par les forces royales à la fin septembre, la cité se soumet sans tenter de résister. Le 30 est signée sa capitulation à Illkirch. Nulle part dans le Saint-Empire voisin le sort de la capitale alsacienne semble soulever de contestation. Le vieux rêve de Richelieu de s’emparer de ce point avancé sur le Rhin est accompli. Louis XIV s’en sert pour justifier ce rattachement :

« La souveraineté absolue qui m’est acquise en conséquence des traités de Munster et de Nimègue sur toute l’étendue de la haute et basse Alsace ne laissant aucun lieu de douter que la ville de Strasbourg qui en est la capitale ne me doive la même obéissance… »

► Les hommes du roi

Afin de relever la province exsangue, la monarchie française peut compter sur un personnel efficace. Le temps de la délégation à des aventuriers peu contrôlables est clos, la Fronde ayant participé au discrédit de la noblesse française pour les tâches de première importance.

En conséquence, c’est une sorte de triumvirat qui gère les affaires d’Alsace avec différentes attributions. Le gouverneur militaire, l’homme de Louvois, s’attache à la défense de la province et plus particulièrement à sa fortification. De concours avec Vauban sortent de terre les citadelles de Strasbourg et d’Huningue et la cité fortifiée de Neuf-Brisach, décidée après la perte de la rive est du Rhin.

Pour les questions civiles, il y a l’intendant qui est chargé de faire abonder de droit royal dans la province. Son lieu d’exercice est la Cour de justice, chargée dans un premier temps d’interpréter les traités dans l’intérêt de la France (ce que l’historiographie nomme la politique des « réunions ») puis de rétablir l’ordre juridique en rendant des terres aux propriété spoliés par la guerre ou d’en donner pour les immigrés dont la venue est souhaité dans l’espoir du redressement économique de l’Alsace.

Le troisième homme est l’évêque de Strasbourg dont l’importance grandit au XVIIe siècle. Il revient à Strasbourg, porté par le retour des institutions catholique dans la ville. De surcroît, malgré un système électoral complexe, le Roi de France parvient à faire élire un évêque francophile dès 1662 (François-Egon de Fürstenberg) puis en 1701, un prince de haute noblesse, le premier cardinal de Rohan.

Ces trois personnages, dont l’œuvre participe à l’assimilation de l’Alsace à la France, sont également vecteurs de vitalité de la foi catholique (moyennant un principe de tolérance rigoureusement respecté), du repeuplement et des arts à partir du dernier quart du XVIIe siècle.

► Conclusion

Cette question du rattachement qui s’étend de 1648 au couchant du Grand Siècle demeure encore aujourd’hui sujet à controverse entre autonomistes (voire indépendantistes) et loyalistes. Nous nous rappellerons notamment les débats de 2013 sur la fusion des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin au sein d’une « Collectivité territoriale d’Alsace » unique.

L’objet de l’Histoire n’est pas de verser dans un camp ou dans un autre. Cependant, la lecture du livre de Jeannine Siat est porteuse d’enseignements.

Il est indéniable que l’Alsace connait par son annexion à la Couronne une phase d’unité et de renaissance. Jusqu’à la Révolution, elle conserva cette particularité dans ses usages et son rapport à la France qu’elle jalouse tant de nos jours.

— Benjamin RATICHAUX

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