À la suite de notre émission État disparu, retrouvez dès à présent notre note historique sur l’Empire éthiopien. Né au Moyen âge sous le nom d’Abyssinie, cet ensemble est-africain mouvant, étrangement chrétien, résiste tant bien que mal pendant sept siècles à l’islamisation et à la colonisation.
► Aux origines : l’Abyssinie
L’espace éthiopien est initialement connu sous le nom d’Abyssinie. À partir du Moyen âge, l’Abyssinie étend son territoire, au Nord, jusqu’à la Nubie, à l’Est, jusqu’à la mer Rouge, à l’Ouest, jusqu’à la région de Sannar (dans l’actuel Soudan) et au Sud jusqu’aux montagnes. L’ensemble représente alors environ 790 000 kilomètres carrés, à comparer avec les plus de 1,1 million de kilomètres carrés de l’actuelle Éthiopie, et des 120 000 kilomètres carrés de l’Éthiopie, qui en est issue. Mais les évolutions territoriales de l’espace éthiopien entre le Moyen âge et la période contemporaine sont importantes.
Vaste empire, donc, l’Abyssinie et soumise à l’autorité d’un monarque unique : le Grand négus. À partir du XVIIe siècle, cet empire éthiopien, politiquement affaibli, se scinde en plusieurs royaumes indépendants : Amhara, Angot, Choa, Danakil, Naréa, Samara et Tigré, principalement. La capitale abyssine elle-même, Gondar, perd en importance. Elle est ensuite transférée à Ankober, dans les montagnes.
L’Empire éthiopien recouvre une partie de sa superbe antique sous le négus Ménélik II (1844-1913). Celui-ci transfère la capitale à Addis Abeba, qui est depuis lors la capitale de l’Éthiopie.
Mais la résistance historique des Abyssins face aux tentatives de colonisation achoppe sur les impérialismes européens au XXe siècle. Ainsi, l’Empire éthiopien, bien que victorieux une première fois de l’Italie, ne peut empêcher l’implantation de comptoirs commerciaux puis une seconde guerre italo-éthiopienne aboutissant à son occupation, entre 1936 et 1941, et la déposition du négus : Haïlé Sélassié.
► Aspects ethnoculturels de l’espace abyssin
Ethniquement, l’Empire éthiopien est influencé par les Gallas, peuple qui réussit de fréquences incursions depuis le Sud, conquérant une partie de son territoire.
Chrétiens, les Abyssins n’en sont pas moins polygames. Ils font partie de la secte monophysite, laquelle n’admet dans le Christ qu’une nature unique, qui absorbe l’élément humain. Les Éthiopiens actuels, de même, sont des monophysites. La partie orientale, autour de Zeilah, est davantage musulmane.
Les Abyssins parlent principalement l’amharique, le galami et le tigryina. Ces trois langues appartiennent à la branche couchitique des langues afrasiennes.
► Origines historiques de l’Empire éthiopien : les Salomonides
L’Empire éthiopien se forme au XIIIe si-cle, par la victoire des rebelles salomonides sur la dynastie juive des Zagwès. Le meneur des Salomonides, Tasfa Iyassus (+ 1285), prétend descendre du personnage biblique Salmon, roi d’Israël et de Juda.
Son fils et successeur, Yagbéa-Syon (+ 1295) mène la guerre contre l’Adal, Etat musulman de la Corne de l’Afrique. La guerre dure plusieurs décennies, jusqu’à la victoire de Gabra Masqual Ier (1314-1347), qui aboutit à une quasi-extermination des musulmans dans la région.
Pour autant, l’influence musulmane dans l’espace éthiopien se reconstitue progressivement. Le prince Zeilah, Mohammed le Gaucher s’empare ainsi de la ville d’Aksoum, dans le Tigré, en 1538. Aksoum est rasée, brûlée, et ne retrouve plus jamais son lustre d’antan. Son sort fait quelque peu penser à celui de Carthage vaincue par Rome, au IIe siècle avant Jésus-Christ.
Gondar devient alors la nouvelle capitale éthiopienne. Le pouvoir s’entoure d’administrateurs coptes, tels Fakhir-el-Daoulet, qui met en place une assiette fiscale plus équilibrée, et relance l’industrie. Cette modernisation technique de l’empire associée à une modernisation administrative, n’empêche pas pour autant celui-ci d’être exposé aux assauts musulmans.
Pour compenser cette faiblesse, le négus fait alors appel aux Portugais. Harrar, petit sultanat d’Afrique de l’Est alors ennemi des Abyssins, est alors vaincu. Mais la présence portugaise en Éthiopie n’est pas sans conséquence. En effet, les moines qui accompagnent les militaires portugais font oeuvre de prosélytisme en faveur de l’Eglise romaine auprès de la population et du négus. Ce dernier se laisse finalement persuader, tandis que le peuple demeure fidèle au christianisme copte.
En 1632, la fracture devient si vive que le Négus Malak Sagad III doit abdiquer. Les discordes religieuses s’accalment dans la foulée, car les moines sont expulsés. Durablement vainqueurs des musulmans, les Abyssins sortent partout affaiblis de cette épreuve. Durant les années 1680, le roi de Choa – autour d’Ankober et de Tégoulet – constitue un Etat indépendant qui, à l’avenir, devient plus puissant que l’Empire éthiopien lui-même, en raison d’une plus forte centralisation.
La situation va de mal en pis. Vers 1850, Râs-Ali, prince de l’Amhara, fidèle au Négus, est renversé par un simple gouverneur municipal, Kâsa Hailou. Telle est la situation de l’Empire éthiopien, qui perd là l’une de ses principales provinces. À partir de l’Ahmara, qu’il conquiert en 1852, Kâsa étend alors son assise au Tigré et au Choa, devenant lui-même négus, sous le titre de Téwodros II.
► Les négus réformateurs
Téwodros introduit une ère nouvelle pour l’Empire éthiopien, celle des réformes administratives et de la modernisation technique. Organisateur du Trésor public éthiopien, le négus bâtit également une véritable armée de métier.
Toutefois confrontés aux puissances européennes, en phase de colonisation du continent africain, les négus successifs ont bien du mal à ne pas laisser l’Éthiopie être conquise. L’ouverture du canal de Suez, en 1869, entraîne un partage des ports de la Mer rouge entre ces puissances. Difficilement, Johannès IV tente à la fois de juguler les prétentions franco-britanniques en Éthiopie, de même que celles des Égyptiens et des mahdistes.
Ménélik II ne peut plus guère entraver les influences européennes en Éthiopie. En particulier, il doit reculer face aux Italiens, qui, en 1889, par le traité d’Uccialli, finissent par s’emparer de l’Erythrée et de faire de l’Éthiopie leur protectorat. Dénonçant ce traité, Ménélik choisit de combattre.. C’est la première guerre italo-éthiopienne.
Successivement vainqueur à Coatit, Addigrat et Amba Alagi en 1895, l’Empire éthiopien humilie durablement le royaume d’Italie, pourtant puissance « blanche ». Les Italiens doivent alors signer une paix défavorable, à Addis Abeba. C’est la première défaite notable d’une puissance européenne face à un pays moins développé.
Après cette victoire étonnante, l’Empire éthiopien obtient d’importants gains territoriaux. Il s’étend désormais jusqu’à l’Ogaden et au lac Rodolphe. Des traités favorables lui permettent même d’abriter les frontières de Djibouti, de l’Erythrée et de la Somalie.
Ce prestige nouveau de l’Éthiopie n’en demeure pas moins — encore — entamé par les influences européennes. Ainsi, l’Empire éthiopien doit faire appel à des techniciens européens pour se moderniser. Surtout, le négus doit accepter un partage d’influence associant la France, le Royaume-Uni et l’Italie, en 1906.
► Dans le concert des Nations : l’Éthiopie sous Haïlé Sélassié
Bien qu’intégrée au concert des Nations, l’Éthiopie attire toujours la convoitise des puissances coloniales. Devenu empereur, Hailé Sélassié (1882-1975) fait entrer son pays dans la SDN, qui préexiste à l’actuelle ONU. Les pressions italiennes aboutissent à un conflit avec les Éthiopiens, facilité par l’atonie de la SDN et le laisser-faire tant des Britanniques que des Français. Fragilisée, l’Éthiopie fera donc les frais de l’impérialisme italien et de la propagande fasciste, appelant symboliquement à la constitution d’un nouvel empire romain.
Cette seconde guerre italo-éthiopienne tourne cette fois en faveur des Italiens. Ceux-ci sont vainqueurs en 1936. Ils réorganisent l’Érythrée, l’Éthiopie et la Somalie conquises en une entité coloniale unique : l’Afrique orientale italienne (Africa orientale italiana, AOI).
Rétabli sur le trône par les Britanniques, Haïlé Sélassié se lie avec les Américains, et obtient facilement l’entrée de son pays dans l’Organisation des Nations unies, dès ses débuts. Il se détache toutefois progressivement du bloc occidental, se rapprochant des non-alignés. Ainsi, il participe en 1955 à la Conférence de Bandung, en Indonésie, fondatrice du non-alignement.
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Il n’en est pas moins en conflit avec l’un des premiers non-alignés : Gamal Abdel-Nasser (1914-1970), qui dirige l’Egypte. Achoppant sur la question du contrôle des eaux du Nil, il pousse en retour à la construction d’une sctruture panafricaine, pour contrer le panarabisme nassérien, que matérialise alors la République arabe unie, annexant la Syrie à l’Egypte. Il fonde alors l’Organisation de l’unité africaine (OUA), en 1963, qu’il fait siéger dans la capitale éthiopienne.
► La chute de l’Empire et du Négus
Contesté dans son pouvoir, notamment par le prince héritier, Asfaw Wossen, le Négus réforme peu, tout en affirmant la nécessaire modernisation de son pays. Se consacrant avant tout aux affaire internationales, il laisse de facto son Premier ministre, Aklilu Habte-Wold (1912-1974) devenir une sorte de vice-empereur.
Après une participation à une expédition militaire au Congo, encadrée par l’Onu, Haïlé Sélassié prétexte l’instabilité politique en Érythrée pour l’envahir, puis l’annexer. D’importants troubles s’ensuivent. En février 1974, la révolte gagne les milieux étudiants et les enseignants. L’armée elle-même se retourne contre le pouvoir, demandant la démission du Gouvernement.
En avril, devant le refus par le Négus de mettre en place un état d’urgence, l’armée éthiopienne prend le pouvoir. Haïlé Sélassié peine à se maintenir au pouvoir, malgré ses appels à l’unité. Durant l’été, les principaux ministres du Négus sont arrêtés.
En mars 1975, l’empire est aboli. Il laisse alors place au Derg (Comité national militaire), forme politique d’inspiration marxiste-léniniste, vantant « l’Éthiopie d’abord« . Sa mort, en août, est un mystère bien gardé par le régime et son nouvel homme fort, Mengitsu Haïlé Mariam (1937- ), qui empêche pendant une douzaine d’années toute enquête indépendante : maladie, ou strangulation ? Avec Haïlé Sélassié, s’éteint en tout cas l’Empire éthiopien, vieux de sept siècles.
— Gauthier BOUCHET
BIBLIOGRAPHIE
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