NOTE — L’Alsace et la France, un siècle de « réunion »

À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Histoire du rattachement de l’Alsace à la France », par Jeannine Siat, ainsi que quelques extraits marquants.


► Éléments sur l’auteur

Née à Strasbourg, Jeannine Siat est historienne agrégée. Elle est spécialiste des civilisations françaises et allemande.

Le préfacier, Georges Livet (1916-2002), est professeur émérite d’histoire moderne à l’Université de Strasbourg, lors de la parution de l’ouvrage. Ses travaux de thèse portent sur l’intendance d’Alsace au XVIIe siècle.

► Une lente annexion par le royaume de France

« L’Alsace est devenue française en 1648. » ; le quotidien L’Alsace avance ce qui paraît être un lieu commun dans son édition du 13 septembre 2015, tout en relativisant sa validité, à raison. En effet, cette annexion se fait en réalité sur une durée d’un demi-siècle, durant lequel l’Alsace est prise en étau entre influences germaniques et françaises.

Le basculement définitif de l’Alsace dans l’orbite française, à la fin du XVIIe siècle, est la volonté d’un homme, le roi de France, Louis XIV (1638-1715). Claude Muller, directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace, et historien moderniste, rappelle ainsi à juste titre que le Roi-Soleil « s’est personnellement intéressé à l’Alsace« , arguant que Louis XIV « y est venu trois fois, alors que Louis XV n’est venu qu’une fois, et Louis XVI, jamais« .

Il n’y a donc rien d’étonnant que cet ouvrage de 1987 de Jeannine Siat, Histoire du rattachement de l’Alsace à la France, paru aux éditions Horvath, puis réédité chez Alsatia, s’attarde avant tout sur la seconde moitié du XVIIe siècle. Une frise chronologique détaillée, reprenant les principaux événements français, alsaciens et impériaux, vient d’ailleurs rappeler ce cadre temporel en pages 10 et 11, dès après la préface, depuis l’entrée des troupes françaises pour « protéger » les villes alsaciennes en 1634, à la nomination de Jean-Nicolas Mégret de Sérilly comme intendant d’Alsace, en 1750.

► Aux origines de l’Alsace française : le traité de Westphalie

Habilement, Siat fait débuter son ouvrage à une date charnière pour l’histoire européenne : 1648, quant est signé le traité de Westphalie, concluant la guerre de Trente ans. Jusqu’à la période révolutionnaire, ce texte établit un relatif équilibre géopolitique entre les principales puissances européennes.

Dès la page 29, l’auteur insiste sur les ambiguïtés autour du traité de Westphalie, dont elle rappelle qu’il s’agit d’ailleurs de plusieurs traités :

« Il s’agit en fait non pas d’un, mais de deux traités, l’un signé à Osnabrück, et discuté par les puissances protestantes, l’autre signé à Munster et discuté par les puissances catholiques, dont la France. »

L’un des aspects du traité concerne justement le sort politique de l’Alsace, territoire intercalé entre le royaume de France et le Saint-Empire romain germanique, sur la frontière rhénane du premier. Les administrateurs français hésitent entre deux solutions, que sont l’obtention de l’Alsace en fief, ou en pleine propriété.

Siat détaille ces hésitations, en page 29. L’historienne développe les conséquences géopolitiques d’une éventuelle possession en fief par la France :

« Obtenir l’Alsace en fief permettrait à la France de siéger à la Diète, et d’être ainsi mêlée aux affaires de l’Empire. Puissante, la France peut influencer d’autres représentants à la Diète, et changer le cours de ces décisions. N’espérait-on pas secrètement en France réaliser le dessein de François Ier, qui rêvait de ceindre la couronne d’empereur du Saint-empire romain germanique ? »

L’annexion de l’Alsace par la France, consécutive aux traités de Westphalie (1648), se matérialise notamment par la création d’un « conseil souverain d’Alsace », à Brisach. Par la suite, il est transféré à Colmar. Juridiction de dernier ressort, elle se compose de vingt-cinq membres. Ce qui était jusque-là une instance juridique devient une assemblée administrative, dont les prérogatives entendent englober l’Alsace dans son entièreté.

► Le repeuplement français après la guerre

Les trente années de guerre sont éprouvantes pour l’Alsace, et sa population baisse de manière considérable. Pour résoudre cette difficulté, Louis XIV invite alors des étrangers à s’installer dans la région, dans le but de la repeupler. La seule condition est que ceux-ci soient catholiques. Ce repeuplement, effectué à partir de 1662, se double d’une francisation du nom de certaines communes préexistantes. Par exemple, Diedolshausen (près de Saint-Marie-aux-Mines) devient Bonhomme.

Le conflit entre Français et Impériaux déborde bien au-delà de la guerre de Trente ans, entretenant de nombreux redécoupages territoriaux. Le plus manifeste fait suite au siège de Strasbourg par les Français, en 1681. Conquise par le roi, la ville voit ses fortifications partiellement abattues, et sa cathédrale rendue aux catholiques.

Au-delà de l’extension territoriale, c’est aussi dans le domaine religieux que l’influence française que se fait jour. En effet, bien que théoriquement protégés des dispositions issue de la révocation de l’Édit de Nantes (1685), les protestants alsaciens vivent sous la pression. En particulier, les fonctionnaires seigneuriaux doivent obligatoirement être catholiques.

Prévue pour être rétrocédée au Saint-Empire dans le cadre de l’accord de Ratisbonne, la ville de Strasbourg et d’autres localités alsaciennes demeurent finalement françaises. La raison en est la guerre de la Ligue d’Augsbourg, qui rend caduc l’accord, et consacre l’annexion d’une large partie de l’Alsace par la France, en 1697. En sont simplement exclues la République de Mulhouse et l’Alsace bossue.

► L’Alsace francisée

La possession nouvelle de l’Alsace par la France s’illustre aussi sur le plan linguistique. Le Conseil d’État ordonne ainsi à en 1685 que l’administration alsacienne utilise dorénavant le français pour rédiger les documents officiels et juridiques. Cette mesure suscite toutefois l’opposition des élites strasbourgeoises. En retour, elles obtiennent une conservation de l’allemand comme langue administrative dans la capitale alsacienne, de même qu’au sein des juridictions inférieures et d’un certain nombre d’institutions protestantes.

La transformation du Conseil souverain d’Alsace en simple parlement (1711), comme dans les autre provinces françaises, illustre la pleine association de l’Alsace à la France. L’Alsace peut désormais être considérée comme véritablement française. Il s’en est fallu d’un siècle d’une longue « réunion », pas toujours linéaire.

— Gauthier BOUCHET

 

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