Cet article s’intéresse à Olivier Cromwell, homme d’État anglais initiateur d’un régime dictatorial, le Protectorat (Protectorate). La décennie cromwellienne, au mitan du XVIIe siècle, est une rupture profonde dans l’histoire de l’Angleterre moderne.
- Eléments généraux sur Cromwell
Objet de fascination pour les uns, d’abomination pour les autres, Olivier Cromwell est à bien des égards un personnage historique éminemment important, mais surtout clivant. Sa postérité le positionne en figure incontournable dans l’histoire de l’Angleterre moderne.
Ce provincial de confession puritaine se construit une réputation de valeureux guerrier durant la première révolution anglaise, entre 1642 et 1651. Dans cet intervalle, il s’illustré par ses prouesses au combat aux côtés des parlementaires qui contestent l’arbitraire du roi Charles Ier d’Angleterre et de la dynastie des Stuarts.
Portrait d’Olivier Cromwell, par Walker Robert. Vers 1650.
La guerre civile anglaise qui se joue à cette époque offre une destin inespéré à cet homme tiraillé par un passé obscur et par une volonté de rédemption. Le temps passant, Cromwell s’adjuge des victoires triomphantes sur les forces loyalistes du roi Charles, préfigurant de manière éclatante son accession aux fonctions suprêmes du pouvoir par le truchement d’un régime républicain qu’il instaure en 1653.
Ce régime, le Protectorat (Protectorate) fluctue entre fanatisme puritain et pragmatisme machiavélique, notamment en politique extérieure. Avec ces éléments, il convient donc de se demander comment et dans quelle mesure l’héritage cromwellien a-t-il façonné l’Angleterre, remodelant ses institutions et son identité culturelle de l’île ?
- Genèse et itinéraire
Cromwell naît en 1599 à Huntingdon, en Est-Anglie. Il est issu d’une famille puritaine appartenant à la classe moyenne de province. Il convient de souligner qu’un lointain ancêtre d’Olivier Cromwell, Thomas Cromwell, occupe la fonction de vicaire général auprès du roi d’Angleterre Henri VIII. Plus encore, ce dernier encourage en 1531 le roi Henri à se proclamer chef suprême de l’Église et du clergé anglican. En somme, cet évènement, bien qu’anecdotique, cristallise pourtant l’attachement sincère des Cromwell à la dynastie des Tudors.
Olivier Cromwell épouse en 1620 Elizabeth Bourchier, fille d’un riche marchand de fourrure. A ce propos, l’historien français Bernard Cottret considère que cette union entre l’honorabilité bourgeoise et la dignité terrienne est coutumière en Angleterre.
Cottret emploie le terme « d’élites ouvertes » en Angleterre pour mettre en évidence la plasticité des élites. Cela contraste sensiblement avec l’entre-soi rigide entretenu dans les élites continentales.
La personnalité de Cromwell est celle d’un homme qui, dès sa jeunesse, est tiraillée par d’obscurs démons, une désolation intérieure conjuguée à une mélancolie vivace. J’ai vécu dans les ténèbres, j’ai aimé les ténèbres, j’ai détesté la lumière, j’étais un pêcheur, le plus grand des pêcheurs., dit-il de lui-même1. Ses consultations ponctuelles auprès du médecin huguenot de la cité de Calvin Théodore Mayerne témoignent, outre son état psychologique instable, d’une santé fragile, avec des tendance à l’hypocondrie.
Impliqué dans la vie publique, Cromwell siège à partir de mars (?) 1628 au parlement à Westminster. Il y révèle une frénésie, formulant des critiques acerbes à l’endroit du pouvoir royal. En effet, Cromwell est excédé par la politique d’élargissement des prérogatives royales engagée par Charles pour lever l’impôt.
Cette opposition d’Olivier Cromwell à des prérogatives royales fortes en termes fiscales s’illustre remarquablement lorsqu’il interpelle avec véhémence l’ecclésiastique Roger Manwaring, proche du pouvoir royal et par conséquent hostile à un parlement récalcitrant à s’acquitter des impôts. Par ailleurs, cet ecclésiastique appartient au courant protestant de l’arminianisme, qui fonde ses origines à partir de la réforme insufflée par Jacobus Arminius, et essaime alors depuis quelques décennies dans les Îles britanniques. Le protestantisme arminianiste se différencie sensiblement du protestantisme calviniste (originaire de Suisse), car il réfute la théorie de la prédestination.
S’agissant de l’hostilité du Parlement vis-à-vis de la politique de l’affermissement de l’autorité royale, il y a l’idée d’une rupture avec les principes contenus dans la Grande charte (Magna carta). Le 8 mai 1628, la rupture est consommé entre le Parlement et le roi. Les parlementaires de Westminster adressent à Charles Ier une pétition du droit (Petition of Right). Celle-ci attribue au Parlement le vote exclusif des impôts.
En outre, cette pétition du droit interdit les arrestations arbitraires des sujets du royaume. Elle impose par ailleurs que la levée des impôts doive désormais passer par l’approbation du Parlement. Dans une certaine mesure les mesures contenues dans ce texte sont le prélude de l’Habeas corpus. Acculé et contraint, Charles Ier finit par l’accepter.
Cette pétition du droit préfigure en quelque sorte le basculement d’une monarchie relativement absolue à une monarchie tempérée, où le Parlement revêt une place incontournable, dans la mesure où il incarne l’institution fixant les limites des prérogatives royales. L’Angleterre entre en quelque sorte dans un nouveau paradigme.
Portrait de Charles Ier, par Antoine van Dyck. Vers 1630.
Cet espoir est toutefois éphémère, puisque dès 1629, Charles Ier contourne la Pétition du droit en désobéissant. Il fait fermer le Parlement et entame un règne personnel que l’historiographie anglaise nomme la « Tyrannie de onze ans ».
- L’adoption du puritanisme par Cromwell
Dans cette conjoncture politique troublée, Olivier Cromwell se forge une identité religieuse et politique qui se cristallise dans un premier temps par une conversion au puritanisme, comme l’appuie sa missive adressée en ces termes à sa cousine Elisabeth Saint John en 1638 :
Mon âme est dans la communauté du Premier-né, mon corps gît dans l’espérance. Si je peux [ici-bas] honorer mon Seigneur par mes actes ou par mes souffrances, cela me réjouira.
Ce témoignage reflète une extériorisation de la foi de Cromwell, qui a pour visée de déplacer la pratique religieuse de la piété contemplatrice à quelque-chose s’incarnant à travers des actes héroïques. En vertu de cette extériorisation, la foi ne s’acquiert plus par une conversion passive, mais par une vie active au service de la Providence.
L’extrait de cette lettre illustre relativement bien les préoccupations de Cromwell, qui s’inscrivent dans l’exercice d’une religion vécue. À bien des égards, cette extériorisation de la foi par l’action trouve une esquisse dans les méthodes iconoclastes employés par Cromwell avant l’avènement de la République et durant son règne.
Ces actes iconoclastes débutent avant la Première révolution, et se caractérisent par les destructions d’images, de sculptures et de peintures. Pour saisir la quintessence des raisons qui entraînent Cromwell à développer une foi militante dans la cause puritaine, il convient de resituer l’homme dans son éducation.
En effet, dès l’âge de dix ans, Olivier Cromwell suit les enseignements du scolastique et théologien puritain Thomas Beard. Ce théologien modèle dans une certaine mesure l’identité de Cromwell, en lui inculquant une éducation religieuse puritaine rigoureuse et austère. Pour situer théologiquement Beard, il convient d’étudier son œuvre The Theater of Judgments (Le théâtre des jugements) rédigée en 1597.
Il considère dans celle-ci que le pape est l’Antéchrist, et qu’il faut relever dans les évènements historiques du moment une indication de la volonté du Seigneur, ou plus encore que le monde terrestre est assimilable à un champ de bataille dans lequel s’affronteraient les justes (à savoir les puritains) et les méchants (les hérétiques, et notamment les catholiques).
C’est dans le sillage de cet enseignement rigoriste qu’il convient d’interpréter le refus par Cromwell, parvenu au faîte de son pouvoir, d’endosser le titre royal, ou d’encore son obstination à réprimer les catholiques irlandais. L’instrument puritain est d’une certaine manière la pierre angulaire de sa rébellion contre Charles Ier. Elle marque une identité insulaire anglaise qui se veut une proto-destinée manifeste, rompant ainsi avec les liens entre les Îles britanniques et l’Europe continentale, par le biais d’un antipapisme viscéral que l’on perçoit comme étant agrégé aux monarchies absolutistes de la période.
La dissolution du Parlement entraîne l’extinction des assemblées locales élues. Le comté d’Huntingdon, dans lequel est établi Cromwell, n’y échappe pas. Cela a pour cause une reconfiguration sociopolitique dans ce territoire, permettant à Cromwell de devenir juge de paix, les nominations découlant directement du pouvoir royal.
En outre, Charles Ier et son administration s’arrogent le droit d’interdire aux paysans de faire paître leurs troupeaux sur les prés communaux. A cette mesure coercitive, Cromwell réagit vigoureusement, en prenant le parti des paysans, ce qui lui vaut un séjour d’un mois en prison à Londres. De cet acte, amené à nourrir la légendaire cromwellienne, il tire une légitimité exceptionnelle auprès de la paysannerie, d’où l’attribution du surnom de « Gentilhomme campagnard ».
Il faut par ailleurs de souligner que la période est caractérisée par la guerre de Trente ans, qui sévit en Europe. Cette épreuve le confront à la lecture de l’œuvre du théologien et calviniste germanique Friedrich Spanheim, Das Swedish-Soldate (Le soldat suédois), consacré au roi de Suède Gustav II Adolphe à la suite de son décès. Ce monarque est alors considéré comme l’un des plus grands stratèges militaires d’Europe. Cromwell s’inspire de cette lecture pour mûrir son propre projet durant le règne de Charles Ier.
En 1640, ce dernier, dans une ultime tentative de rapprochement avec le Parlement, le convoque. Cette tentative est bien entendu intéressée. Elle s’inscrit après la défaite royale face aux évêques. Il s’agit pour le roi de pacifier les choses, dans le dessein de s’appuyer sur les parlementaires pour mettre fin à ce conflit.
Ce nouveau parlement qui succède au Bref parlement (Brief Parliament) a la particularité d’être de s’étendre durant vingt ans, jusqu’à la Glorieuse révolution d’Angleterre. Dès 1640, Cromwell s’illustre par ses prises de positions qui s’inscrivent dans le sillage de son puritanisme virulent, puisqu’il s’adonne à politiser le puritanisme pour faire libérer le théologien calviniste William Prynne et le député puritain Thomas Burton.
Enfin, le dernier évènement préfigurant la révolution et la première guerre civile est la Grande remontrance du Parlement anglais de 1641. Elle arrive à l’initiative du député puritain Oliver Pym, un proche d’Olivier Cromwell. La Grande remontrance contient plusieurs propositions de réformes, dont, notamment la suppression des cérémonies comme la célébration du culte, l’exclusivité au Parlement de nommer au commandement des troupes et l’obligation pour le roi de ne plus admettre dans son conseil que des personnes ayant l’approbation ou le conseil du Parlement.
Ces propositions sont en substance éminemment révolutionnaires. Ajoutons que Cromwell soutient aussi cette réforme institutionnelle. Enfin, il paraît nécessaire de noter que, durant ces tentatives de diminuer l’autoritas de Charles Ier, celui-ci n’est pas à Londres, mais séjourne à Edimbourg, dans le but d’obtenir la paix et le ralliement des Presbytériens écossais.
C’est donc dans ce contexte d’aliénation du pouvoir royal que s’annonce les débuts de la guerre civile entre les parlementaires porté par un fermier-soldat, Cromwell et les royalistes, soutenus par des mercenaires.
- La première guerre civile anglaise
De premières escarmouches entre les parlementaires et les royalistes débutent sous le patronage de Cromwell. Vers février 1642, celui-ci prend l’initiative de s’emparer du château de Cambridge, qui dispose d’un emplacement stratégique. Il le saccage et y dérobe une vaisselle d’argent d’une valeur de près de vingt mille livres, qu’il apporte au Parlement pour planifier la guerre contre Charles Ier.
Parallèlement, dans ce contexte tumultueux et annonciateur de guerre civile, le Roi Charles Ier fait le choix de s’établir à York, qui se situe au Nord de l’Angleterre. A proximité, dans la ville de Leeds, il réunit ses partisans loyalistes, parmi lesquels nous retrouvons des députés royalistes, à l’instar de Edward Hyde, comte de Clarendon et Lucius Cary, deuxième vicomte de Falkland.
Rappelons qu’avant que Cromwell ne connaisse une ascension fulgurante au sein des forces parlementaires, ces derniers manquent d’entraînement, et ne connaissent pas les rouages de la guerre, à la différence des forces royalistes, mieux formées. Cromwell se révèle sur le front en octobre 1642, lors de la bataille de d’Edgehill, en commandant un escadron – c’est-à-dire, une unité de cavalerie – contre les forces loyalistes du comte d’Essex, Rupert du Rhin, neveu de Charles Ier.
Cette situation freine ainsi considérablement la marche du roi vers Londres. L’apport considérable de Cromwell aux forces parlementaires se décline dans une réorganisation de la cavalerie. Cromwell agit décisivement en la matière, comme en témoigne sa manière d’agencer sa cavalerie sur le terrain pour prendre le dessus sur l’armée loyaliste.
À ce propos, le principal intéressé déclare, en 1643 :
Je vous supplie de choisir avec soin vos capitaines de cavalerie, et les hommes qui montent ; quelques hommes honnêtes valent mieux qu’une multitude. Laissez-leur le temps de l’exercice. Si vous choisissez des hommes pieux et honnêtes comme capitaines de cavalerie, d’autres hommes honnêtes les suivront, et ils se chargeront de les faire monter3.
Ce témoignage fait la lumière sur la perception dont se faisait Cromwell de la guerre. Selon lui, celle-ci doit être régie méthodiquement avec des hommes valeureux. La conviction des hommes l’emporte sur les considérations sociales. En ce sens, Cromwell s’érige en défenseur de la méritocratie, puisqu’il s’appuie essentiellement sur des fermiers des plaines de l’Est de l’Angleterre, adeptes du puritanisme.
Fort de ses premiers succès, en janvier 1643, Cromwell gravit un échelon dans la hiérarchie militaire. Il devient colonel. En décembre, les parlementaires comprennent la nécessité d’une restructuration des troupes pour espérer venir à bout des forces loyalistes. Ils décident donc de créer deux milices ou plutôt, deux corps d’armées.
La première de ces milices se nomme la Midlands Association et la seconde prend le nom d’Eastern Association, du fait de son appartenance à Huntingdon et, plus largement, à l’Est-Anglie. Cromwell rejoint l’Eastern Association, qu’il dirige. Le régiment dont il prend la direction se distingue alors sensiblement des autres régiments des parlementaires. En effet, Cromwell interdit formellement à ses fermiers-soldats de piller. Leurs revenus proviennent essentiellement du Parlement. En outre, il introduit une nouvelle tactique militaire qui consiste à n’user de son pistolet que dans la mêlée.
D’autre part c’est dans cette année 1643 que les prouesses au combat de Cromwell et de son escadron comment à devenir observables. En revanche, s’agissant des autres escadrons appartenant à la Midlands Association, ce ne sont qu’échecs successifs. Cromwell et ses troupes délogent les royalistes de Gainsborough et défont les troupes du Charles Cavendish, général loyaliste.
Le succès décisif lors de cette bataille eut pour conséquence de parachuter Cromwell à la tête du Comité des deux Royaumes (Committee of Two Kingdoms), un cabinet de guerre composé de parlementaires anglais et écossais chargés de coordonner le commandement supérieur. Cette alliance est d’ailleurs brisée à terme par les Écossais, lors de la seconde révolution anglaise, par ralliement à la cause royale.
C’est la bataille de Marston Moor, en 1644 qui confère à Cromwell sa réputation militaire légendaire. Elle est d’ailleurs la plus grande et décisive bataille de la première révolution anglaise. En effet, Cromwell vient à bout des forces loyalistes menées par le prince Rupert, faisant essuyer un échec sans précédent aux armées royales dans l’histoire de la première guerre civile.
Reconstitution de la bataille de Marston Moor, par Graham Turner.
On estime à 4 500 le nombre de soldats tués du côté des loyalistes lors de cette bataille, auxquels s’ajoutent 1 500 capturés. Cette victoire à Marston-Moor permet aux forces puritaines de récupérer d’importants bastions au Nord de l’Anglette, à l’instar de York, autrefois fief loyaliste. Elle consolide les acquis de la Révolution anglaise.
Toutefois, la victoire de Marston Moor ne dissipe pas les désaccords entre les fractions puritaines et presbytériennes. Ces dernières déplaisent considérablement à Cromwell. Il voit de plus les Presbytériens en fauteurs de guerre et de révolution, soucieux d’enliser la guerre pour conserver leurs positions sociales enviables.
- Le puritanisme révolutionnaire triomphe de Charles Ier
Dans la seconde phase de la Révolution anglaise, à partir de janvier 1645, les parlementaires entreprennent un nouvel effort de guerre, en créant une nouvelle armée plus moderne. Cette New Model Army (Armée de nouveau modèle) est placée sous la direction d’un général presbytérien, Thomas Fairfax.
La New Model Army totalisait dans ses rangs un effectif de 22 000 hommes, une cavalerie de 11 régiments soit plus de 6 000 hommes, un régiment d’escadron, soit 100 hommes, une infanterie de 12 régiments, soit plus de 14 000 hommes. Parallèlement, Cromwell n’occupe plus de fonction officielle au sein de l’armée puritaine.
En effet, auparavant, Cromwell, pour endiguer l’accroissement des forces presbytériennes au sein de l’Armée, fait passer une loi au sein du Parlement qui prend le nom de « Bill de Renoncement ». Celle-ci indique que l’on ne peut cumuler des fonctions civiles et militaires, ce qui a eu pour cause sa mise à l’écart temporaire de la New Model Army.
Toutefois malgré cet obstacle juridique, les parlementaires s’accordent sur la nécessité de rappeler Cromwell, en avril 1645, à l’initiative du Comité des Deux royaumes. Ce rappel s’effectue au moment de l’assaut des forces royalistes à Oxford. Dans cette ville aussi, Cromwell est vainqueur. Cette victoire revêt un caractère symbolique et psychologique fort, car les forces royalistes se sont progressivement effrités depuis la fondation de la New Model Army.
Il s’agit surtout ici d’isoler Charles Ier, qui tente vainement de négocier avec les presbytériens écossais pour espérer un renouvellement des alliances. En mai 1645, Charles Ier quitte définitivement Oxford et se lance dans un ultime assaut vers le Nord. Le Comité des Deux royaumes rappelle une nouvelle fois Cromwell, pour contrecarrer les desseins du roi Charles Ier.
Il y parvient avec l’aide du commandant général Fairfax lors de la bataille de Naseby, en juin 1645. Cette bataille est décisive, puisqu’elle annonce le triomphe définitif de la New Model Army. Charles Ier défait, décide de se réfugier en Écosse en 1646, puis dans l’île de Wight. Il refuse la proposition du Parlement d’instaurer une monarchie constitutionnelle.
Cette situation de confusion institutionnelle pèse sur l’Angleterre. L’impatience de Cromwell grandit. Le fermier-soldat espère entériner la situation, et écarter définitivement le parti presbytérien, qu’il soupçonne de jouer un double jeu et de tisser en sous-main une alliance avec Charles Ier au détriment du puritanisme porteur de la première insurrection anglaise.
En mai 1647, les Ecossais acceptent finalement de rendre le roi Charles Ier au Parlement. Des négociations s’ensuivent. Mais elles ne débouchent sur aucun consensus. La situation prend une tournure chaotique lorsque Charles Ier, capturé par Parlement, entreprend son évasion en novembre. Le Parlement vote que l’on ne pourra plus s’adresser au roi, avec 141 voix contre 91 voix aux Communes.
En outre, au printemps 1648, le Comité des Deux royaumes qui sert lors de la première guerre civile à combattre les troupes royalistes est finalement dissous. Cromwell en est directement bénéficiaire. Le conflit se matérialise e, août, par la bataille de Preston, dans le Lancashire. Elle met aux prises la New Model Army conduite par Olivier Cromwell face aux Écossais et royalistes dirigés par James Hamilton.
Les puritains en sortent victorieux, et anéantissent définitivement les espoirs des royalistes. Cette victoire permet Cromwell de pénétrer en Écosse, plus précisément dans le fief royaliste d’Edimbourg. Cet évènement préfigure l’épuration parlementaire. Les sujets écossais sont radiés du Parlement.
Le procès du roi se tient à partir du 20 janvier 1649. Charles Ier essaie de retrouver l’ascendant en formant une alliance avec l’Écosse. Les chefs d’accusation sont ceux de haute trahison, tyrannie et meurtre. On accuse le roi d’avoir fait preuve d’absolutisme, de provoquer la ruine de ses sujets avec sa politique fiscale et envers l’Église anglicane.
Le 30 janvier, Charles Ier est finalement exécuté en raison de son obstination à ne pas vouloir reconnaitre la monarchie constitutionnelle. S’opposer au roi, c’est s’opposer à Dieu d’après les partisans du roi. La défense du roi avance le fait qu’il est choisi par Dieu ; qu’il est au-dessus des hommes et des institutions.
L’exécution de Charles Ier. Peinture de Gonzalez Hulls.
Le décès de Charles Ier ouvre la voie à l’arrivée d’un régime d’une nouvelle nature, celui de la République du Commonwealth
- Le nouveau régime cromwellien : le Commonwealth
La République est proclamée après la décapitation du Roi déchu, en mai. Ce changement de régime entraîne des reconfigurations institutionnelles profondes. Parmi celles-ci, nous pouvons relever la suppression de la Chambre des Lords. Toutefois, bien que l’exécution du roi n’altère plus l’équilibre institutionnel vis-à-vis du Parlement, l’Angleterre n’en demeure pas moins en proie à des agitations insurrectionnelles.
C’est notamment le cas du radicalisme des Niveleurs, secte protestante baptiste qui réclame une refonte institutionnelle s’inscrivant en adéquation avec un libéralisme philosophique hybride qui prend la forme d’un communisme chrétien. Les Niveleurs sont menés par l’un des premiers théoriciens de l’abolition de la propriété privée, Gerrard Winstanley.
Ce groupe d’activistes libertaires conteste l’autoritarisme du régime républicain du Commonwealth, et par conséquent la légitimité même de Cromwell. La répression ne se fait pas attendre, puisque Cromwell et un escadron de la New Model Army se chargent d’en tuer l’un des meneurs, Thompson, provoquant ainsi l’extinction ce cette secte.
Cet évènement résume relativement bien la capacité de Cromwell durant l’interrègne à disloquer les tentatives séparatistes sectaires pour consolider les fondements de la Nation. Plus encore, Cromwell, par son rapprochement avec le parti des presbytériens en Écosse, parvient à accomplir ce que convoite initialement le roi Jacques II.
Durant son règne, Jacques II intériorie que s’il veut gouverner ses sujets dans une relative osmose, il doit accomplir une unification britannique. Il pose les jalons de cette unification par l’entremise de l’unification religieuse sous le commandement de l’Église anglicane, qu’il ne réussit toutefois pas à accomplir de son vivant.
Cromwell s’érige donc en quelque sorte comme un continuateur de l’édifice érigé par Jacques II, sauf qu’il opère l’unification britannique par la force comme nous venons de le voir avec les Niveleurs, les presbytériens. Nous le verrons également plus tard avec l’exemple des catholiques irlandais de Drogheda.
Le régime personnel de Cromwell s’inaugure en 1653 par l’entremise d’une constitution qu’il publie sous le nom de « Instrument of Government ». Celle-ci confère à Cromwell la fonction de Lord-protecteur (Lord Protector) de la République du Commonwealth, désignation qui se fait sous l’impulsion du parlement puritain. Il est ainsi le protecteur des royaumes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande.
- Diplomatie d’un despote éclairé
C’est en politique étrangère que Cromwell se distingue le plus par son habileté. L’exercice de la politique étrangère sous le Commonwealth revêt un caractère éminemment interventionniste, mais aussi pragmatique. Le marchand- soldat en politique étrangère parjure son puritanisme, en tissant des relations solides avec la France du cardinal Mazarin, ministre de Louis XIV à partir de 1655.
Portrait de Jules Mazarin, par Pierre Mignard (1660).
Le rapprochement entre l’Angleterre et la France met en évidence que les deux États délaissent leurs antagonismes religieux au profit d’une politique plus réaliste et pragmatique. En pratique, le rapprochement franco-anglais se matérialise par le traité de Westminster, signé par les deux parties, au bénéfice de leurs échanges commerciaux respectifs.
À ce succès diplomatique cromwellien s’ajoute le traité de Paris signé en 1657. Il s’agit d’un traité d’alliance entre l’Angleterre et la France contre l’Espagne de Phillipe IV. Outre une alliance franco-anglaise, Cromwell parvient à obtenir d’autres réussites en matière de diplomatie, comme l’indique la guerre victorieuse que le Lord-protecteur livre à la République des Sept Provinces-Unies des Pays-Bas.
La victoire de l’Angleterre cromwellienne face aux Provinces-Unies des Pays-Bas permet d’anéantir un rival économique de premier plan. Elle entraîne une reconnaissance de l’Acte de navigation, qui jette les fondements de la thalassocratie anglaise, éclipsant ainsi la puissance néerlandaise naissante. Ainsi, Cromwelle révèle des choix éclairés en termes de politique étrangère, cumulant les victoires militaires, diplomatiques et économiques.
Ce succès cromwellien affirme la thalassocratie coloniale de l’Angleterre, qui s’étend ensuite dans les Indes orientales lors du rétablissement de la Monarchie.
- Une tolérance religieuse relative
Si la politique extérieure de Cromwell l’inscrit indubitablement dans la postérité, sa politique intérieure, en particulier à l’égard de certaines minorités confessionnelles, expose un saisissant contraste. Vis-à-vis des catholiques désignés comme « papistes », la République du Commonwealth développe une politique d’oppression inouïe dans l’histoire anglaise.
Cette tyrannie s’exprime en particulier dans une expédition que mène Cromwell en Irlande, à Drogheda. Ce village-martyr devient le spectacle d’un sac et carnage sans précédent dans l’histoire irlandaise. Les fermiers-soldats de Cromwell y tuent environ deux mille cinq cents personnes, femmes, enfants et vieillards compris.
Représentation de l’expédition de Drogheda
L’historiographie anglaise rapporte que 59 % des terres anglaises appartiennent à des catholiques avant le sac de Drogheda, et qu’à la fin du règne de Cromwell il n’en reste que 21 %. Ces statistiques permettent de relever que le régime cromwellien ne se contente de massacrer les catholiques irlandais. Mais il organise sciemment une politique d’expropriations systémique et méthodique.
Cromwell est en revanche plus tolérant à l’endroit des israélites. Ceux-ci sont réhabilités, par l’accueil de juifs jusque-là interdits en Angleterre, depuis la fin du XIIIe siècle et leur proscription par Édouard Ier. Cromwell place les juifs en haute estime du fait des accointances théologiques entre le puritanisme et l’Ancien testament.
Une politique si conciliante vis-à-vis de la communauté juive s’inscrit dans le sillage de l’espérance millénariste entretenue savamment par les puritains anglais. En pratique, Olivier Cromwell a une relation de proximité avec Manasse ben Israël, rabbin portugais. Le Lord-protecteur estime que l’Angleterre bénéficierait grandement du retour de cette communauté, car elle œuvre au développement économique des Provinces-Unies.
- Sur le caractère tyrannique de la République du Commonwealth
Se questionnant sur le caractère tyrannique de la République du Commonwealth, le philosophe panthéiste Baruch Spinoza parle en ces termes, au milieu du XVIIe siècle :
Je ne puis cependant passer sous silence qu’il est tout aussi dangereux d’ôter la vie à un monarque, alors même qu’il est établi sans conteste qu’il est un tyran. En effet, un peuple habitué à l’autorité royale et retenu par seule méprisera et tournera en dérision une autorité plus faible. C’est pourquoi, si l’on renverse un monarque, il sera nécessaire que le peuple, comme le faisaient les prophètes, en désigne un autre à sa place et en cet autre sera tyran, non par son propre mouvement mais par nécessité. Car comment pourra-il considérer des citoyens aux mains souillés de sang royal et se vantant d’un parricide comme d’un acte héroïque.
La remarque formulée par Spinoza rejoint à bien des égards les remarques formulées ultérieurement par l’anthropologue et sociologue français Gustave Le Bon :
Les révolutions n’ont généralement pour résultat qu’un déplacement de la servitude. La révolution anglaise constitue à plus d’un titre une rupture épistémologique avec son antériorité, mais elle débouche selon les conclusions tirées par le philosophe Spinoza à une renouvellement des élites et par un exercice absolutiste du pouvoir qui s’amplifie, bien que la nature du régime ait changée.
- Conclusion
La République du Commonwealth instituée par Cromwell a initialement pour prétention de limiter l’absolutisme de Charles Ier. Mais il s’avère que la république cromwellienne est plus rigide encore que la monarchie des Stuarts. En effet, il convient de souligner que Cromwell se réapproprie tous les codes de la Monarchie.
Cette parenthèse républicaine se termine pratiquement en 1658 avec le décès de Cromwell, par septicémie. Son fils, Richard Cromwell, lui succède formellement. Mais son règne est abrégé par la marche sur Londres qu’effectue, en 1660, George Monck, général écossais. Victorieux, Monck force le parlement à sa dissolution. Charles II d’Angleterre rentre alors à Londres, et se fait couronner roi d’Angleterre, en 1661.
Portrait de Charles II, par John Michael Wright (vers 1663).
Au final, la figure cromwellienne se présente à nous avec de nombreuses ambivalences. Cette figure est à la fois encline à manifester un sectarisme tyrannique, comme l’illustre le massacre des Irlandais catholiques de Drogheda. Mais Cromwell est également capable de se montrer sous un jour meilleur, en se posant comme défenseur des minorités confessionnelles, comme cela est le cas avec la communauté israélite et, à la marge, celle des presbytériens écossais.
Il convient de souligner que, malgré l’autoritarisme de Cromwell, l’Angleterre bénéficie grandement de l’interrègne républicain. Cette période lui permet de rayonner sur la scène internationale, préfigurant son extension coloniale et un leadership européen acquis les décennies suivantes sur le reste du globe, en éclipsant successivement les Provinces-Unies, l’Espagne, Portugal et la France.
Ce qui singularise Cromwell, c’est l’aspect mystérieux voir même mystique qu’il entretient tout au long de son ascension. La théophanie (c’est-à-dire, la manifestation de Dieu) revêt un sens unique chez Cromwell. Chaque évènement est interprété par sa personne comme une sanction divine. Il s’érige en quelque sorte en Moïse, devant établir la loi de Dieu sur Terre.
Idéologiquement, il serait toutefois imprudent d’essayer de le positionner sur l’échiquier politique. Car, malgré qu’il règne sous un régime républicain, il entretient une forme d’antirépublicanisme, transformant l’Angleterre en un pays comme la Suisse, en dressant les cantons ou les comtés les uns contre les autres.
En outre, la Monarchie ne trouve guère de place dans les aspirations de Cromwell. C’est en quelque sorte un personnage paradoxalement apolitique, mais dont la Foi et le destin le contraignent à se confronter à la rudesse du politique.
1 — Cromwell, le 13 octobre 1638.
2 — Lettre de Cromwell à Saint John, 13 octobre 1638.
3 — Correspondance de Cromwell, 29 août 1643.
BIBLIOGRAPHIE
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Mattrat (Jean). Cromwell. Hachette, 1970.
Safwène NATAHI