À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Les Îles britanniques au Moyen âge », par Jean-Philippe Genet, ainsi que quelques extraits marquants.
► Précisions sur l’auteur
En 2005, l’historien Jean-Philippe Genet a fait publier un ouvrage dans la collection Carré Histoire de Hachette, synthétisant ses travaux. Ainsi est né le livre Les Îles britanniques au Moyen âge, devenu depuis manuel usité par de nombreux étudiants. Fournissant une abondante cartographie et des textes de référence, il nous éclaire sur la naissance et la croissance des États de l’espace comprenant Grande-Bretagne et Irlande jusqu’à la guerre fratricide des Deux roses.
L’ouvrage de quelques trois cent pages prend la suite des écrits de Charles Petit-Dutaillis (1868-1947), notamment La monarchie féodale en France et en Angleterre, lequel avait déjà mis en lumière le contraste de la naissance et du développement entre les deux royaumes séparés par la Manche. Moindrement romanisé que la première, royauté affaiblie et vassale vite rivale de son suzerain, l’Angleterre rompt au cours du Moyen âge le lien fraternel qui l’unit à la France pour se constituer une identité propre.
► La faible romanisation des Îles britanniques
Le premier trait qui distingue les Îles britanniques du continent est son faible degré de romanisation. Bien que militairement visité par Jules César (55 avant Jésus-Christ) et réellement conquise sous le règne de Claude, ce que l’on appelle à cette époque la Britannie connaît peu de mutations de société. Le latin ne se répand pas, hormis à l’élite urbaine tout comme le christianisme qui, pourtant religion de l’Empire en 312, ne pénètre pas le pays profond. La présence romaine dans le territoire semble plus ressembler à une occupation dont les deux murs d’Hadrien et d’Antonin sont les illustrations.
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Si l’influence romaine est dérisoire en Bretagne, elle est nulle en Irlande. Les Gaëls présents sur l’île depuis le IVe siècle avant Jésus-Christ conservent au long de l’Antiquité fidélité à leur système politique. Un roi supérieur, l’Ard ri, est l’agent d’unité de sept provinces, elles-mêmes dirigées par un roi. La christianisation de la population, effective au Ve siècle sous la férule de saint Patrick, conforta la cohésion et l’indépendance du pays. La civilisation irlandaise connut son apogée aux VIIe et VIIIe siècles donnant au reste du continent missionnaires (saint Fiacre et saint Colomban), écrivains et artistes.
► Des Saxons aux Normands : la naissance de la Nation anglaise
Quelques décennies avant la chute la chute de l’Empire romain d’Occident (476), l’espace britannique est abandonné par Rome et devient la proie des puissances maritimes voisines. La première vague est constituée au Ve siècle par des Jutes, des Saxons et d’Angles. Ces peuplades nordiques ont raison des autochtones qui se réfugient au pays de Galles et en Cornouailles. C’est de leur présence que remontent les provinces que nous connaissons aujourd’hui (le Wessex est occupée par les Saxons, la Mercie par les Angles).
Doté d’un roi assisté d’une assemblée de sages (le Witenagemot), le pays est subdivisé en comtés placés sous l’autorité d’un shérif. L’équilibre politique permet la réussite de la deuxième vague de christianisation de l’Angleterre. En 597, Augustin, missionné par le pape Grégoire Ier, fonde l’archevêché de Cantorbéry.
Le Domesday Book (Livre du Jugement dernier), commandé en 1086 par Guillaume le Conquérant pour collecter plus efficacement l’impôt, nous renseigne sur les efforts de la royauté anglo-saxonne pour administrer le royaume, en particuliers ceux d’Édouard le Confesseur. En 870, une nouvelle invasion danoise à l’Est présage celle au Sud des Normands deux siècles plus tard. Profitant de la décadence de la dynastie et de ses amitiés sur l’île, il remporte la bataille d’Hastings sur Harold II (1066) et ceint la Couronne d’Angleterre.
Plus qu’un changement de maison, l’avènement de la dynastie normande provoque une transformation de la société anglaise. Élevé à la cour de France, Guillaume importe le français et son personnel administratif dans l’île et noue une nouvelle alliance avec l’Église d’Angleterre devenue puissante.
Le droit normand est aussi introduit. On trouve maintenant à Londres l’Échiquier (cour des comptes), fondé en Normandie par le duc Rollon et la Common Law, loi commune, régit le statut de tous les particuliers.
La monarchie anglo-normande marque une étape fondamentale dans la constitution de l’État anglais. Jusqu’ici État insulaire, il deviendra continental sous l’égide des Plantagenêts.
► Le léopard face au lys
Le règne des Plantagenêts est capital dans l’histoire des Îles britanniques médiévales. En un siècle, la maison angevine a tendu d’apogée en décadence. Le XIIe siècle voit l’Angleterre prendre pied sur le continent à la faveur de deux mariages fructueux. En 1128, Mathilde, petite-fille du grand Guillaume épouse en secondes noces Geoffroi Plantagenêt, apportant dans l’escarcelle anglaise le Maine et l’Anjou.
Près de trente ans plus tard, leur fils, Henri II Plantagenêt (1133-1189), s’unit celle qui par décision pontificale n’est plus la femme du roi Louis VII le Jeune (1120-1180), la célèbre Aliénor d’Aqutaine (1122-1204). Unique héritière du duché d’Aquitaine, elle l’offre en dot au royaume à présent ultra-marin. Ce dernier ressemble alors à une immense tenaille prête à annihiler le jeune royaume capétien, de concours avec l’empereur Otton IV de Brunswick (vers 1175-1218) et les Flamands.
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Cette lutte occupera la grande partie du XIIIe siècle. Certains historiens l’affublent du sobriquet de « première guerre de Cent Ans ». Elle rend compte en tout cas de la difficulté pour le roi d’Angleterre d’asseoir indiscutablement son autorité sur les terres ultra-marines encore fidèles aux noblesses locales, de gouverner en s’écartant des volontés de l’Église d’Angleterre et du Saint-Siège, dont les avis ne vont pas toujours dans le même sens.
Surtout, le roi d’Angleterre pâtit de son lien féodal vis-à-vis du roi de France qui l’oblige à la fidélité, d’autant que dès Philippe II l’Auguste (1165-1223), le Très chrétien se pose comme le champion du droit féodal. De la corrélation de ces facteurs s’explique la dislocation de l’empire angevin au profit majoritaire de la monarchie capétienne.
La fin de règne chaotique de Henri II, le départ en croisade puis la capture de Richard Ier et la demi-folie de Jean sans Terre soulève le baronnage anglais et indigne nos rois, de Philippe II à saint Louis. La bataille de Bouvines sonne le glas de l’hégémonie britannique et le Plantagenêt doit accepter de composer avec évêques et barons : c’est la Grande Charte (Magna carta) de 1215.
► La résurgence et le châtiment
L’œuvre de Guillaume, Henri Ier et Henri II réduite à néant, il faut alors de grands rois pour relever l’Angleterre. C’est au petit-fils de Jean sans Terre, Édouard Ier, que ‘on doit la stabilisation de la situation intérieure anglaise. Son père, Henri III, avait tenté par sa lutte contre Louis IX de détourner sa noblesse de l’exercice du pouvoir. Ses humiliantes défaites n’y étant parvenues, son fils accepte de bon gré l’existence du Parlement et son concours à l’élaboration de la loi. De surcroît, l’annexion du Pays de Galles enraye l’engrenage des luttes défavorables.
Après le faible Édouard II, marié cependant à Isabelle, fille de Philippe IV le Bel, Édouard III engage le royaume dans la guerre de Cent Ans dont la première phase sourit à sa maison (Crécy, Poitiers, Azincourt). La minorité de Henri VI, couronnée roi d’Angleterre et de France, et la régence du duc de Bedford (1422-1435), marqué par le revirement du duc de Bourgogne, permettent à Charles VII de reprendre la main. Le roi de France et son fils, Louis XI, closent le conflit par l’épée et la plume : le premier à Castillon (1453), le second à Picquigny (1475).
Entre temps, la folie de Henri VI plonge l’Angleterre dans la guerre des Deux roses, qui ensanglante sa noblesse trente années durant (1455-1485). Henri VII pacifie le pays et restaure le prestige de la monarchie à la grande fortune de ses successeurs. L’ère des Tudors s’est ouverte.
— Benjamin RATICHAUX