NOTE — Une construction nationale et étatique originale : les Îles britanniques


À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Les Îles britanniques au Moyen âge », par Jean-Philippe Genet, ainsi que quelques extraits marquants.


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► Précisions sur l’auteur

Jean-Philippe Genet est un historien médiéviste français. Né en 1944, il fait une partie de ses études supérieures à Oxford, où il se spécialise dans l’histoire médiévale anglaise. Après son agrégation d’histoire, il part enseigner dans un lycée à Rouen. Dans le même temps, il commence un travail d’assistant en histoire médiévale à l’Université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Intégré au Centre national de recherche scientifique (CNRS) comme chercheur en 1969, il devient également maître de conférences. Il ne passe que tardivement sa thèse. Celle-ci, relative aux « idées sociales et politiques en Angleterre du début du XIIe siècle au milieu du XVIe siècle« , est soutenue en 1996. Depuis, Genet enseigne à l’Université de Paris-I, en tant que professeur émérite.

Ses thèmes de recherche sont principalement relatifs à la culture et à la société anglaises durant la guerre de Cent ans et à la construction de l’État anglais, notamment en comparaison avec l’État français. Il est l’auteur de quelques ouvrages sur ces sujets, dont La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre (2003).

► Un préalable au sujet de l’ouvrage : la Bretagne celtique, puis romaine

In fine, même si le livre se consacre pour l’essentiel à étudier l’histoire des Îles britanniques — Angleterre, Pays de Galle, Écosse et Irlande — entre les Ve et XVe siècles, l’auteur s’attache tout d’abord à présenter le monde britannique prémédiéval. C’est l’objet des vingt-cinq pages du début et d’un premier chapitre au titre explicite (Britannia) relatif au nom de ce territoire lors de sa domination par l’Empire romain, entre les Ier et Ve siècles, la Britannie, ou Bretagne romaine.

Mais Genet va beaucoup plus en amont dans son exposé, s’intéressant jusqu’à la préhistoire des Îles britanniques. Ainsi, l’auteur rappelle que ces îles sont initialement occupées à partir de 450 000 avant Jésus-Christ, encore que les habitants initiaux de l’archipel britannique ne soient pas des hommes modernes (Homo sapiens) mais des hommes érigés (Homo erectus), espèce africaine qui disparaît par la suite.

Les ultimes glaciations pléistocènes, et les phases de dégel, qui relient ces îles par voie de glace au continent européen, puis les en séparent par un trait d’eau, puis les y relient de nouveau, ont raison d’une occupation humaine permanente. Les dernières phases glaciaires semblent si fortes que la présence de l’homme ne paraît être attestée entre 25 000 et 14 000 avant Jésus-Christ. Après cette date, il réapparaît progressivement sur la côte Sud, et remonte vers le Nord, au fur et à mesure que reculent les glaces : voici l’homme définitivement installé dans les Îles britanniques.

Entre temps, les glaces fondent complètement. L’Irlande s’insularise vers 8 500 avant Jésus-Christ, la Grande-Bretagne, vers 7 500 avant Jésus-Christ. Quant aux hommes, ils occupent complètement l’archipel à partir de 6 000 avant Jésus-Christ.

En quelques pages, Genet rappelle par la suite les siècles de la Bretagne celtique (du IXe siècle avant Jésus-Christ jusqu’à la conquête romaine), ses hill-forths caractéristiques, des forts défensifs, et l’acculturation souvent conflictuelle avec les Belges. Mais les passages principaux du premier chapitre, à partir de la page 11, concernent logiquement la conquête par Rome.

Sur ce dernier point, l’on croit souvent qu’elle serait en fait l’oeuvre de l’imperator Jules César (100-44 avant Jésus-Christ), au prétexte que celui-ci s’y essaie, profitant de sa présence dans les Gaules, où il mène la guerre. En fait, cette tentative d’invasion par César, entre 55 et 54 avant Jésus-Christ, aboutit avant tout à retourner des rois locaux en faveur de Rome. Il n’y a cependant pas de colonisation, ni, a fortiori, d’annexion. Mais, habilement, en associant les rois du Sud de la Grande-Bretagne à sa cause, César fait de la côte méridionale un protectorat romain, base d’une future conquête.

Celle-ci intervient quelques décennies plus tard. Après plusieurs échecs, en 10 et en 39, c’est l’empereur Claude qui relance l’idée d’une expédition. Les inquiétudes suscitées par la religion druidique semblent en être l’une des causes, car l’on craint son essor en Gaule. En 84, la conquête est faite. Elle reste cependant précaire, ce qui suscite l’édification de deux murs défensifs face aux peuples du Nord, notamment picte : le mur d’Hadrien et le mur d’Antonin. Genet rappelle le caractère précaire de cette conquête lorsqu’il évoque en page 15 l’épopée personnelle de Carausius, serviteur de l’Empire devenu usurpateur :

« Une flotte efficace, la Classis britannica, fut organisée [en Britannie] : mais son commandant, Carausius, se sachant soupçonné d’avoir partie liée avec les pirates, prit les devants et se proclama empereur : de 287 à 293, il règne sur la Bretagne, déjouant les efforts du César chargé de cette partie de l’Empire, Constance Chlore. »

Ces velléités d’indépendance ne s’arrêtent qu’en 297, avec l’assassinat d’un second usurpateur, Allectus, lui-même assassin du premier. Elles témoignent bien des difficultés pour Rome de contrôler un territoire insulaire et lointain. Progressivement, l’Empire ne peut de toute manière plus avoir de contrôle sur ces îles, qui constituent son limes septentrional. Finalement, en 410, l’empereur Honorius abandonne la Britannie à son sort.

► Un Haut Moyen âge « anglo-saxon »

Dans les Îles britanniques, le Haut Moyen âge est littéralement « anglo-saxon », compte tenu des contacts souvent conflictuels entre Celtes et Saxons. Les Îles britanniques, partiellement romanisées, en reviennent rapidement à leur civilisation celtique d’origine. En témoigne l’abandon de certaines villes bâties par les Romains.

L’armée romaine étant partie, selon Bède le Vénérable, les populations celtes de Grande-Bretagne invitent vers 446 des mercenaires saxons sur les îles afin de repousser l’assaut de pillards. Mais, mal payés, les Saxons semblent finir par se révolter, et s’installer sur place. Les Bretons semblent toutefois temporairement les défaire vers 495, à la bataille du Mont Badon, au lieu très incertain selon les historiens.

Les Saxons n’en continuent pas moins leur offensive, essaimant dans les Cotswolds et les Chilterns. Prenant leur revanche sur les Bretons à la bataille de Dyrham, en 577, les Saxons, coalisés aux Angles, aux Frisons et aux Jutes, contrôlent par la suite tout le Sud-Ouest de l’archipel, Cornouailles exceptées. Ils semblent alors donner leur nom au Wessex, qui devient l’un des grands royaume de l’île. L’acculturation de ces différents peuples entre eux et avec les Bretons d’origine forme la trame de la future civilisation anglo-saxonne.

Progressivement christianisés, les Anglo-Saxons fondent un premier évêché en 597, à Cantorbéry. Pour la première fois, un roi anglo-saxon, Æthelberht de Kent (vers 560-616) se convertit à la religion chrétienne. Les rois païens disparaissent en quelques décennies, et la christianisation va si vite et si loin que des missionnaires anglo-saxons partent rapidement évangéliser l’Europe.

Alors que le Kent domine initialement la région, depuis le Sud, le centre de gravité politique des îles se déplace progressivement vers le Nord. Là, les petits royaumes de Bernicie et de Deira y fusionnent, en 653, fondant un nouvel ensemble avec Bamburgh comme capitale : le royaume de Northumbrie.

La puissance northumbrienne est toutefois fragilisée par des querelles de succession. La Mercie lui dispute alors la domination de l’archipel. À Trent, en 679, les Merciens portent un coup sévère aux Northumbriens. Ces derniers sont ensuite définitivement abattus par les Pictes.

Nouvelle puissance dominante, la Mercie connaît son apogée sous Offa (avant 757-796) et son Dyke, vaste ouvrage défensif édifié contre les envahisseurs Gallois. Mais, là encore, la suprématie de la nouvelle puissance du moment est mise à mal par une autre, le Wessex, cependant que l’archipel est soumis à une menace plus grande encore : les Vikings

► Le Wessex face aux Vikings

À partir des années 780, depuis la Scandinavie, les Vikings attaquent les Îles britanniques. Une des premières offensives est déclenchée à Lindisfarne, où le monastère est pillé de ses richesses. Les décennies suivantes sont une succession d’invasions régulières de Vikings et de Danois.

Face aux Vikings et aux Danois, c’est avant tout le roi du Wessex qui mène la lutte, Alfred le Grand (vers 848-899). Il les vainc à Ethandun, et fait ainsi cesser les invasions. Mais, au Nord, la Northumbrie est déjà divisée en deux, les Vikings s’arrogeant une partie du territoire, de même que l’Est-Anglie, partiellement accordée aux Danois.

Les Danois commencent à s’établir dans l’Est de l’Angleterre, et la région qu’ils dominent prend le nom de Danelaw. La Mercie danoise s’articule autour des Cinq-bourgs, tandis que dans le nord, Jórvík (actuelle York) devient la capitale d’un royaume viking homonyme, allié de temps à autre aux Norvégiens de Dublin. Les colonies norvégo-danoises ont eu une influence importante sur la langue anglaise. Ainsi, de nombreux mots dérivent du vieux norrois, même si la grande majorité provient de la langue anglo-saxonne. En outre, de nombreux toponymes des régions colonisées par les Danois et les Norvégiens proviennent de racines scandinaves.

Le IXe siècle britannique est marqué par la montée en puissance du royaume de Wessex. À la fin du règne d’Alfred le Grand, malgré diverses vicissitudes, les rois des Saxons de l’Ouest règnent sur les anciens royaumes de Wessex, de Sussex et de Kent. Les Cornouailles sont soumises à la domination anglo-saxonne, et certains rois du Sud du Pays de Galles reconnaissent Alfred comme suzerain, de même que l’Ouest de la Mercie.

► La constitution du royaume d’Angleterre

Le Wessex domine définitivement la Mercie, puis l’annexe quelques années, afin de former en 927 le royaume d’Angleterre. Le nouvel État a Winchester comme capitale. Le chef des Anglo-Saxons, Æthelstan le Mal-avisé (vers 894-939), dirige ce royaume.

Cette domination du Wessex sur les Îles britanniques est bientôt consolidée par l’annexion de la Northumbrie. Mais le jeune royaume est confronté à une nouvelle vague de raids vikings, depuis le Danemark. Ces incursions obligent à la fois les Anglais à combattre les envahisseurs et à verser d’importants tributs : le Danegeld, « impôt des Danois ». À partir de 1003, la pression danoise est si forte que leur roi, Sven à la Barbe fourchue, conquiert le royaume d’Angleterre.

Cette conquête danoise des Îles britanniques se poursuit sous les successeurs de Sven, Knut (vers 988-1035) et Hardeknut (vers 1019-1042). La population l’accepte mal, et se révolte occasionnellement. En 1041, Worcester se soulève : Hardeknut la fait alors raser. Fragilisé sous le règne d’Édouard le Confesseur (1004-1066), l’Angleterre est alors convoitée par les Normands.

► La conquête normande

Minée par des querelles de succession, l’Angleterre est envahie avec succès par les Normands. En 1066, leur chef, Guillaume le Conquérant, vassal du roi de France, remporte une bataille décisive à Hastings. Godwinson, le successeur contesté du Confesseur, perd la vie au combat.

Désormais, la grande rivale de l’Angleterre est avant tout la France, Guillaume étant toujours vassal du roi de France. L’Angleterre et la France, bien qu’ennemies à partir du Bas Moyen âge, sont pourtant consubstantiellement liées. Leurs institutions, notamment, le démontrent. Ainsi, l’Angleterre se dote d’un parlement, tandis que la France crée des États généraux.

Nation en genèse au seuil du deuxième millénaire, l’Angleterre est toujours en prise avec des royaumes rivaux : principalement les Pays de Galles et l’Écosse. Elle les vainc progressivement par la guerre, et les intègre politiquement.

Ainsi, aux guerres des Galles, entre 1277 et 1295, opposant Édouard Ier à Lllywelyn, succède la célèbre guerre d’Écosse, mettant aux prises l’armée anglaise à la révolte de William Wallace. L’invasion de l’Écosse par les Anglais, victorieuse à Dunbar, aboutit à la soumission des nobles locaux, qui rendent hommage à Édouard. Menant la révolte à partir de 1297, Wallace force Édouard à négocier.

► Les « guerres anglaises »

C’est sous ce vocable de « guerres anglaises » qu’est appelé le conflit qui se joue entre les royaumes d’Angleterre et de France, à partir de 1337, que nous connaissons rétrospectivement sous le nom de guerre de Cent ans. Au-delà d’être un conflit franco-anglais, il s’agit également d’un conflit dynastique, opposant les Plantagenêts aux Valois. C’est notamment les enjeux du contrôle de la Guyenne qui en sont la cause.

Initialement victorieuse, l’Angleterre perd toutefois du terrain à partir de 1364. En quelques années, les Anglais ne contrôlent ainsi plus que quelques villes sur le continent. L’affaiblissement du pouvoir en France, sous Charles VI le Fol (1368-1422) renverse toutefois le rapport de forces, enfonçant le royaume dans une guerre dynastique entre Armagnacs et Bourguignons. Ces derniers, à terme, se rapprochent des Anglais, avec lesquels ils forment de facto une alliance militaire.

Alors que les Français semblent acculés par le désastreux traité de Troyes (1420), qui enlève une grande partie du royaume de Charles VI au profit des Anglais, se situe l’épopée inattendue de Jeanne d’Arc. Cette paysanne lorraine, prise de visions divines, s’estime détentrice d’une mission : sauver le royaume de France, en boutant les Anglais. Parvenant à rencontrer le jeune Charles VII (1403-1461) au château de Chinon, elle le convainc de mener une armée afin d’accomplir cette mission.

Victorieuse à Orléans, où elle lève le siège, Jeanne chevauche ensuite en territoire ennemi, et fait couronner Charles à Reims, comme il est de coutume pour les rois de France. Toutefois capturée par les Anglais en 1431, elle semble lâchée par Charles. Elle finit brûlée en place publique, à Rouen.

Il n’en reste pas moins que l’oeuvre militaire de Jeanne et de ses hommes porte ses fruits. Ainsi, le royaume de France relève la tête face à l’envahisseur anglais. Il panse par ailleurs les plaies de la guerre opposant depuis une génération Bourguignons, fidèles à Charles VII, et Armagnacs, collaborateurs du pouvoir anglais. En 1435, par le traité d’Arras, une indépendance de facto est donnée au duché de Bourgogne, moyennant une paix des braves qui permet de concentrer un effort militaire décisif contre l’Angleterre.

S’appuyant par ailleurs sur une profonde réforme de l’armée, cet effort a finalement raison des Anglais. À partir de 1450 et la bataille de Formigny, l’avantage est clairement dans le camp français. Une victoire à Castillon, en Aquitaine, clôt définitivement le conflit. Le royaume d’Angleterre, affaibli, s’enferre alors dans une crise dynastique, attisée par deux lignées rivales, les Lancastre et les York. C’est l’épilogue de l’ouvrage : la guerre des Deux roses.

► Épilogue : les Deux roses

Cet ouvrage sur les Îles britanniques au Moyen âge se conclut logiquement par un chapitre relatif à la guerre des Deux roses : Affirmation et crises de l’Etat moderne (pages 221 à 260 incluse). Celle-ci, entre 1455 et 1485, est le pendant de la défaite anglaise contre une France revigorée. Ainsi, si l’année 1453 et la bataille de Castillon peuvent être considérées comme la fin du Moyen âge en France et l’entrée dans la période moderne, ce n’est pas le cas concernant l’Angleterre.

Conflit dynastique, la guerre des Deux roses oppose les Lancastre, arborant une rose rouge, aux York, arborant une rose blanche, ces deux familles revendiquant le Trône d’Angleterre. De cette guerre, naît l’Angleterre moderne. Celle-ci sera d’autant plus amenée à se différencier de son ancien « jumeau » français que, par la suite, elle deviendra un État protestant.

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