NOTE — Oran, une cité méditerranéenne dans l’histoire mondiale


À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Oran, onze siècles d’épopée méditerranéenne (902-2016) », par Alain Sanchez, ainsi que quelques extraits marquants.


► Éléments sur l’auteur

L’auteur de ce livre, Alain Sanchez (1943 -) est oranais d’origine. Pied-noir donc, il part pour la métropole après l’indépendance algérienne et devient ingénieur.

On lui doit notamment des articles dans L’Algérianiste. Politiquement, il est proche du Rassemblement national (RN) : son fils, Philippe Sanchez, est membre de son conseil national.

► Une colonie andalouse

Par sa situation de choix sur l’interface méditerranéen de l’Afrique, la ville d’Oran devait se trouver au point de rencontre entre les puissances marocaines, berbères, espagnoles et arabes. Traiter historiquement d’Oran commande de la considérer avec son arrière-pays, l’Oranais, compris entre la côte et le Sebkha d’Oran distant d’une dizaine de kilomètres et l’avant-port de Mers-el-Kébir, proposant un mouillage idéal, rendant la maîtrise la ville primordial pour le contrôle du commerce en Méditerranée.

Doté d’une position géographique de premier ordre, l’espace où Oran s’élève au Xe siècle est déjà très convoité sous l’Antiquité. D’abord possession des Phéniciens, elle échoit aux Romains, qui y installent une colonie, Portus Divinus, au Ier siècle.

Aussi, c’est au sein de la province impériale de Maurétanie césarienne que l’Oranais accompagne le lent déclin de l’Empire. Territoire composite, il se distingue par la persévérance du judaïsme, surtout au sein des tribus berbères, et la croissance du christianisme, phénomène plus urbain, nécessitant la création d’une demi-douzaine de diocèses.

En sommeil durant le Haut Moyen âge, le pays reprend son importance stratégique lorsque des marins andalous décident de s’y établir en 902. Distance de seulement deux cents kilomètres de Carthagène, la nouvelle cité d’Ouahran (d’où provient le nom actuel d’Oran) entre dans le périmètre d’influence des Omeyyades, maîtres du sud de l’Espagne.

Grâce à ce nouveau point d’appui en Afrique du Nord et à la bienveillance des cités voisines — Tlemcen en particulier— les Andalous investissent l’arrière-pays oranais et se constitue une ligne de commerce de choix des deux côtés de la mer intérieure en plus d’un front musulman dans cette mosaïque religieuse qu’est l’actuel littoral algérien.

Plusieurs siècles durant, la proximité d’Oran avec les principautés berbères le protège de l’appétit des Almoravides puis des Almohades à l’Ouest et des Fatimides à l’Est. C’est l’époque des « royaumes barbaresques » dont la faiblesse des États profite à la piraterie et appelle à une nouvelle intervention venue d’Europe.

► Souverainetés successives

Le destin du pays d’Oran diffère de celui du reste de l’Algérie à partir du XVIe siècle. Si le second devient progressivement le théâtre de la conquête ottomane — grandement due à l’effondrement du califat de Cordoue — le premier demeure dans l’orbite des souverains de la péninsule ibérique, jadis musulmans, aujourd’hui Très catholiques, comme ils convient de surnommer la reine Isabelle Ière de Castille (1451-1504) et son époux Ferdinand V (1452-1516).

Conscients des razzias que subissent Espagne, France, Naples et Sicile, ces derniers se décidèrent à envoyer Francisco Jiménez de Cisneros (1436-1517), cardinal et grand-inquisiteur d’Espagne. Celui-ci conquiert d’abord Mers-el-Kébir puis Oran, en prenant soin de les donner de solides fortifications.

Alors que l’Inquisition demeure vivace en Espagne, une tolérance tacite s’installe dans Oran. Celle-ci se matérialise par de nouveaux relations établies avec les Berbères autochtones et les Ottomans en Tunisie.

Sous la férule de l’Espagne, Oran constitue un élément-clef du glacis habsbourgeois qui enserre la Méditerranée par la métropole à l’Ouest et le royaume de Naples à l’Est, séparé de la zone influence ottomane par l’étroit bras de mer entre Tunis et le sud de la Sicile. Cité respectée de ses rois et fort prospère au début du XVIIe siècle, sa population subit néanmoins le zèle apostolique et la méfiance des notables espagnols qui en conduisent les destinées.

L’origine musulmane des nouveaux convertis est soumise à interrogation et les juifs furent expulsés en 1669. Ces persécutions perdent de leur force avec la décadence des derniers rois Habsbourg. En 1700, Charles II d’Espagne mourant sans héritier, la France porte à sa succession Philippe V le Brave (1683-1746), petit-fils de Louis XIV (1638-1715), jeune prince qui occupe les premières années de son règne à se faire reconnaître roi par le Royaume-Uni et le Saint-Empire. C’est la guerre de Succession d’Espagne, qui dure treize ans.

Dans cet intervalle (1708), Moustapha Bouchelaghem intégre Oran à son beylick — un des trois constitués sur le littoral algérien sous influence ottomane — et en fait sa capitale. En 1732, le trône espagnol assuré aux Bourbons, Philippe V reprend la ville qui repassera à la fin du siècle aux musulmans (1792).

► Département français

Durant les guerres napoléoniennes, la Méditerranée a joui de la Pax britannica (Paix britannique). C’est après 1815 que le faiblesse des beys, petit roitelets à la solde de la Sublime porte, ainsi que l’on surnomme l’Empire ottoman, ouvre une nouvelle ère de piraterie le long des côtes d’Afrique du Nord. Le roi de France Charles X (1757-1836) n’étant plus disposé à le tolérer, il envoie le général Bourmont soumettre Alger, entraînant la soumission du dey d’Oran, Hassan. En conséquence, les Français investissent la ville en 1831.

Lorsque le général Damrémont y pénètre, il ne trouve que moins de 2 800 habitants, dont une grande majorité des juifs. La population musulmane décide de se lever contre l’envahisseur, et se trouve un chef en la personne d’Abd-el-Kader (1807-1883). Le temps de la monarchie de Juillet est une litanie de batailles entrecroisées de traités de paix affirmant le primat de l’émir sur l’Oranais.

En 1847, le général Lamoricière obtient sa reddition. L’incorporation de l’Oranais dans le giron français n’en fait pas tout de suite un département à part entière. La Deuxième République y installe un contrôle militaire draconien, alors que Napoléon III (1808-1873) fait dépendre le territoire d’un ministère particulier, le Ministère de l’Algérie et des Colonies, tout en imaginant un royaume arabe, reprenant dans son administration, les éléments des anciens beylicks.

La Troisième République ne s’embarrasse pas de ces utopies orientalistes. Immigration métropolitaine et assimilation des autochtones caractérisent les années 1870-1900. De 100 000 habitants en 1900, Oran passe à 260 000 en 1940. L’élan démographique s’accompagne d’une recrudescence des activités portuaires, fondamentales dans l’exportation des produits de l’Oranais comme les céréales ou le vin.

Comme à Alger ou Constantine, et bien que ne faisant pas partie d’une colonie, Oran constate le monopole des fonctions de pouvoirs par les Français, l’expropriation des locaux, le Code de l’indigénat et l’isolement de ses notables traditionnels. Les deux guerres mondiales et, en particulier, l’implication forte de l’Oranais dans l’Opération Torch, tête de pond face à l’occupation allemande de la Tunisie, mettent en sommeil les premiers soubresauts d’un nationalisme algérien qui explose en 1954.

► Vocation méditerranéenne

Comme un symbole de cette douloureuse séparation, le port de Mers-el-Kébir en porte dans les mémoires les stigmates. Devenue en 1935 base de la flotte française en Méditerranée, elle subit le feu de l’aviation britannique en 1940 pour ne pas que les vaisseaux français ne profitent à l’Allemagne. D’un port, miroir du destin français et algérien d’une centaine d’années, les Français auribt par les accords d’Évian le droit de mouillage pour quinze ans. Ils s’en retirent dès 1970.

Oran, désormais deuxième ville du nouvel État algérien né par la violence – en témoigne le massacre qui se joue dans les rues de la ville, au surlendemain de l’indépendance – recouvre, hors de la domination européenne, l’affirmation de sa diversité ethnique, religieuse et architecturale, fruits de ce hasard géographique qui la plaça jadis à la croisée des civilisations.

Benjamin RATICHAUX

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