NOTE — Oran, une histoire espagnole, ottomane, française, algérienne


À la suite de notre chronique littéraire, retrouvez dès à présent nos notes de lecture de l’ouvrage « Oran, onze siècles d’épopée méditerranéenne (902-2016) », par Alain Sanchez, ainsi que quelques extraits marquants.


► Éléments sur l’auteur

L’auteur de l’ouvrage, Alain Sanchez, est né en 1943 à Oran. Il écrit donc, au fond, l’histoire de sa ville, laquelle est successivement espagnole, ottomane, française, puis algérienne. Ingénieur de formation, il se spécialise également dans le tourisme, comme chargé de conférences à l’Université internationale du tourisme, et professeur à l’Institut supérieur du tourisme.

Éclectique, on retrouve notamment sa plume dans les revues Espaces et Économie et prospective de la montagne. Mais c’est surtout dans L’Algérianiste (organe du cercle du même nom) qu’il œuvre, dans des articles historiques sur la mémoire et la culture pied-noire : les Français d’Algérie.

► Avant la fondation d’Oran

Ces « onze siècles d’épopée méditerranéenne » se veulent être une « monographie urbaine et portuaire ». Ils retracent l’histoire millénaire de « la Radieuse », deuxième plus grande ville de la façade méditerranéenne du Maghreb.

Malgré son titre, le livre, en réalité, commence par l’évocation du premier peuplement humain de la région, il y a cent mille ans. L’histoire d’Oran, sous l’Antiquité, est logiquement celle de la conquête par Rome : le territoire oranais (Portus Magnus, soit le « Grand port ») est alors intégré à la Maurétanie césarienne. L’ouvrage n’évoque le Xe siècle, fondateur de l’histoire oranaise, qu’à partir de la page 20 (La naissance de la ville d’Oran).

► Les périodes islamique, espagnole et ottomane

L’histoire d’Oran alterne entre différentes sujétions. Ce territoire est en effet successivement conquis par les Fatimides (910), puis les Omeyyades (928) et détruite. Reconstruite, elle est liée politiquement à l’espace marocain par la suite, sous l’égide de Youssef ben Tachfine (1009-1106). La région oranaise passe ensuite aux mains des Almohades.

Mais la puissance dominante à Oran est bientôt l’Espagne — après un intermède portugais — qui colonise et valorise le territoire à partir du XVe siècle. Le royaume y établit des bases, comme un peu partout en Afrique du Nord, pour protéger son commerce de la piraterie. A partir de 1505, les Espagnols font d’Oran un présidio :  une colonie fortifiée.

Les gouverneurs d’Oran sont constamment aux prises avec les Ottomans, lesquels tentent de s’emparer du territoire. La ville se barricade alors derrière d’impressionnantes fortifications et se dote de plus de deux cents canons. Cela n’empêche pas les Ottomans de poursuivre leurs tentatives d’incursions. En 1642, ceux-ci tentent même un siège maritime conjoints avec des Français, dont l’auteur rappelle en page 36 qu’il est l’étonnant « allié chrétien du moment », depuis le pacte conclu entre François Ier et Soliman le Magnifique.

Cette alliance, jugée « impie » par le reste de l’Europe, n’empêche bien sûr pas la France d’être aux prises avec la piraterie ottomane, sur ses côtes. Sanchez rappelle ainsi que les rançons versées par la France à l’Empire ottoman représentent six cents millions de francs durant le XVIIe siècle.

La possession successive d’Oran par les Espagnols et les Ottomans est assez complexe à suivre. L’auteur tâche d’en simplifier l’exposé par une approche forcément chronologique. Le fil rouge de ces changements de puissances à l’oeuvre demeure en tout cas le même : avant la présence française, Oran est considérée avec péjoration, comme un territoire ne pouvant être valorisé. Don José Vallejo en fait l’aveu en 1780, dans un propos cité en page 20, faisant d’Oran « des montagnes de pierre » dont on pourrait tirer aucun profit. Le séisme qui suit, en 1790, n’arrange d’ailleurs rien à l’état de la ville.

À cette déconsidération d’Oran par ceux qui la possèdent s’ajoute une violence politique endémique. L’ouvrage s’en fait l’écho en dressant de manière exhaustive « les turpitudes et la fin du beylick », décrivant les morts spectaculaires et les règnes brefs des uns et des autres.

► Oran, préfecture française

La conquête d’Oran par les Français s’inscrit dans celle, plus large, de l’Algérie. Les nouveaux occupants s’y installent à partir de 1831. Sous la Deuxième République, ils font d’Oran la ville-préfecture d’un département à part entière.

L’auteur détaille avec une admiration à peine dissimulée la modernisation matérielle offerte au colonisateur à l’ancien bourg ottoman. Il est ainsi fait insistance sur l’ingénieur Auguste Aucour, grand modernisateur d’Oran. C’est l’époque où la Radieuse se dote notamment de ses égouts, de son réseau d’assainissement, de marchés couverts et d’un abattoir.

L’auteur s’attarde aussi sur des détails pittoresques qui montrent en creux le décalage entre l’avant et l’après-colonisation, comme la présence tardive de lions, jusqu’au cœur du XIXe siècle.

Oran, devenue ville-préfecture et l’Algérie conquise, la France imprime logiquement sa marque jusque dans la toponymie qu’elle donne aux villes, lesquelles reprennent de grands noms du récit républicain : Fleurus, Gambetta, Valmy…

Sous la période française, la démographie s’accroît, comme le rappelle régulièrement l’ouvrage en évoquant les chiffres de la population oranaise. Il manque toutefois un tableau pour synthétiser ces données. Mais nous apprenons au fil des pages qu’Oran, peuplée de 2 000 habitants en 1831, monte à 10 000 en 1900.

► Dans la Deuxième guerre mondiale : l’opération Torch

A partir de la page 72, l’auteur consacre logiquement un récit détaillé du rôle d’Oran durant la Deuxième guerre mondiale. Après le rappel de l’attaque britannique de Mers el-Kébir, dans les premiers mois du conflit, il revient surtout sur les « trois jours de guerre à Oran » que constituent l’opération Torch (Torche) : le débarquement américain en Afrique du Nord, en 1942.

Cette grande avancée des Alliés entraîne naturellement une mobilisation massive d’Oranais dans l’armée d’Afrique. Dix-sept classes d’hommes sont mis sur le pied de guerre, « habillés plus vite que chez Storto », rappelle Sanchez, qui évoque avec humour un célèbre grand magasin textile d’Oran. Bombardée in extremis en 1943 par les Allemands en déroute, Oran devient par la suite « la principale base navale des Alliés dans le bassin méditerranéen », selon les mots d’Alfred Salinas, rappelés dans le livre en page 75.

► Oran dans la guerre d’Algérie

Logiquement, la place d’Oran dans la guerre d’Algérie occupe une part centrale du livre, lequel a aussi le mérite de s’intéresser aux décennies qui suivent l’indépendance, notamment sur le plan de la gestion municipale, avec l’examen détaillé des différents édiles.

Quelques semaines après son retour au pouvoir, Charles de Gaulle (1890-1970) en fait la visite. Mais Oran est avant tout connue durant cette période pour le massacre de civils français qui s’y joue, en 1962.  Plus de deux cents personnes sont alors tués dans ce que l’on appelle le « Massacre du 5-juillet », au surlendemain de l’indépendance, et sans que l’armée française n’intervienne.

► Après l’indépendance

Après l’indépendance, la France pense pouvoir jouir de la base de Mers el-Kébir (et de ses annexes militaires) pendant quinze ans. Mais elle doit finalement la lâcher aux Algériens dès 1968.

Les troubles politiques que connaît l’Algérie dans les décennies qui suivent son indépendance, puis la guerre civile que mène le Front islamique (FIS), affectent bien sûr Oran. La Radieuse perd alors beaucoup de son lustre, qu’elle recouvre bien difficilement dans les premières années du XXIe siècle, par une vigoureuse politique de grands travaux et son entrée de plain-pied dans le tourisme de masse.

Gauthier BOUCHET

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